Nous n'irons plus au bois, les lauriers sont coupés.
Pourquoi apprendre la nostalgie aux enfants? Il n'en faut pas. Couper vif. Je ne sais pas toujours faire.
La maison a été vendue. Les voisins, que j'appelle à Noël, me disent que l'on y fait de gros travaux. Les murs seuls subsistent. Le reste en gravas sur les fleurs, sur mes arbres. Ce n'est plus mon affaire. Je ne serais jamais allé à Bons sans toi.
J'avais remonté le mur de pierres sèches au fond de la cour. Une pierre, deux pierres à relever, poussées par tout le poids du pré au-dessus. Un travail de mes reins, de mes mains. Toutes les pierres, à la fin, repositionnées. J'étais fier d'être bâtisseur. Il n'a jamais bougé.
Pendant que tu dormais, je m'occupais dehors. Indépendants. Toujours. Nous nous retrouvions à la veillée et aux repas. Parfois, nous partions visiter une abbaye ou arpenter un bois. Dans la journée, nous n'avions pas besoin de nous parler. Chacun à l'écoute de ses pensées, de ses prières, et des chansons de l'autre. Le soir, parfois, rarement, quand l'envie devenait trop forte, je te quittais deux heures et revenais ensuite, apaisé par des mains de rencontre. Tu souriais toujours, heureux que la fièvre m'ait quitté.
Je plantais un lilas, je plantais des rosiers. Tout poussait. L'un d'eux, de roses rouges, généreuses, sous ma fenêtre, embaumait. Un autre, de vieille souche, se gorgeait de boutons avant de s'épandre vite en neige rose sur le sol, près de la porte. Des iris, des jonquilles, des hortensias contre le mur, une pivoine aussi et des belles de nuit. Tout poussait. Des promeneurs s'arrêtaient parfois pour admirer. J'étais fier. J'avais fait quelque chose de mes mains.
Mon outil favori était un vieux tournevis à la pointe arrondie en douceur, que je prenais en main pour déterrer, planter, écarter ou piquer. Le voisin voulait me prêter les bons instruments. Je revenais toujours à lui. Je ne savais pas travailler avec autre chose. Je l'ai rapporté. Il est ici, à Lyon. Je ne l'utilise pas. Je sais qu'il est ici. Il ne reconnaîtrait pas sa terre.
Tu aimais monter dans la grange, en ouvrir grand les portes et ensoleiller le "soli" où de vieux meubles étaient entreposés. De la grange, nous pouvions passer dans l'écurie, en nous faisant petits, par les ouvertures des mangeoires des bêtes. Le foin leur était distribué par là. Nous n'avons jamais voulu les murer.
En face, il y avait le verger: pommes, poires, cerises et prunes. Des arbres à rhumatismes, couchés, tordus, au tronc couvert de lichen, aux branchages alourdis de couronnes de gui. Des fruits à emporter parfois, à manger en hiver. Le prunier céda un été sous le poids de ses fruits. Les poires du dernier poirier, en bas, que je disputais aux oiseaux et aux guêpes. Le cerisier était tardif. Nous mangions des cerises même au coeur de l'été.
J'aimais le dehors, j'aimais le dedans, les fêtes improvisées, comme le soir où nous nous décrétâmes République. Trois maisons, un pays. Nous avions même défilé pour la naissance de cet état. Notre quatorze juillet à nous. J'aimais ces savoyards fiers et bourrus, à qui il fallait montrer que l'on savait travailler. J'aimais ces collines, ces bois, les eaux du lac, les champignons ramassés. J'aimais les nuits à lire, à écouter rire les loirs ou trotter les souris, à se parler d'une chambre à l'autre. J'aimais les jours, le ciel qui se brouillait juste après le quinze août, la lumière de notre fenêtre qui éclairait la haie, le bruit du verrou en refermant la grange, le gui tressé pour en faire des couronnes et le houx sous la neige pour son sang prometteur.
Voilà, mon Pierre, ta maison, notre maison. Comme elle est en moi aujourd'hui. Et tout ce que j'oublie, mais qui palpite encore. Comme un coeur qui vit, mon Pierre. Ne t'inquiète pas. Je vais.
Si la cigale y dort, il n'faut pas la blesser.
mercredi 20 août 2008
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2 commentaires:
La nostalgie s'apprend-elle...? Chez moi elle a toujours été présente, invitée douce mais indésirable, qui ne demande rien mais entre et s'asseoit...
Toujours laisser la porte ouverte, pour lui faire comprendre qu'elle ne doit pas trop s'attarder....
De toutes les lettres, elle est celle qui me touche le plus... Elle me semble raconter de la plus belle manière votre histoire. Chacun de vos mots, chacun de vos regards, de vos sourires a été une pierre de votre maison. Elle reste au fond de ton coeur, elle reste éternelle au fond de ton âme...
J'aimerai un jour bâtir une maison aussi belle.
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