mardi 19 août 2008

Lettres à Pierre: huitième lettre.

Il pleut. Quand il pleuvait, à Bons, il fallait allumer la lampe. Les fenêtres trop petites ne laissaient entrer qu'un peu de grisaille. L'été, elles nous protégeaient du trop chaud. Pendant la sieste, il m'arrivait de tirer les volets, presque fermés, alors je voyais la poussière danser dans le rai lumineux et sur le tapis, le coeur de la persienne dessiné au sol peu à peu glisser jusqu'à toucher le mur.

Au début, nous devions sortir pour gagner l'ancienne écurie où nous avions installé un semblant de coin réservé à la toilette. Dans les dernières années (combien? deux? trois), nous avons percé le mur, depuis la cuisine. Un mur épais, fait de pisé et de pierres énormes qu'il fallait briser pour les mouvoir.

La pluie entrait avec nous, sur nos souliers, sous nos semelles de boue. Chacun disparaissait chez soi. Plus de voisins jusqu'au soir, parfois au lendemain. Seules les voitures de ceux qui travaillaient à la ville éclaboussaient la monotonie du martellement des gouttes sur la marquise de l'entrée.
On dirait qu'il pleut toujours plus à la campagne qu'à la ville.

La maison devenait limites de l'univers. Toi, tu n'as jamais aimé jouer. Tu bricolais de l'autre côté de la cloison. Pour moi, la sieste sur le petit canapé du salon se prolongeait parfois jusqu'au soir, un livre en main, que je posais sur ma poitrine pour compléter le somme, surtout les premiers jours de vacances.

C'est la pluie qui m'a ramené là-bas aujourd'hui. La maison de ton grand-père. La maison des souris quand nous l'avons rouverte. Tu ne voulais pas y aller. J'ai fini par te convaincre. Tu as vu que je l'aimais. Tu l'as aimée aussi. Deux pièces en bas, cuisine et salon, et deux au-dessus, nos chambres. Tout en haut sous le toit, après un escalier très raide, le dortoir des amis.

Combien avons-nous été certains soirs? D'autres dormaient dehors, dans leur camping-car. A chacun qui passait, tu offrais un bol jaune décoré de l'oiseau savoyard. Des fêtes et des repas. Des rires. Nous grimpions aux Voirons sur la ligne de crête. Nous leur offrions la vue: derrière nous, la Vallée Verte fermée par le Mont-Blanc; devant, les bois, les champs jusqu'aux portes de Genève dont nous jouions à repérer le jet d'eau. Elle a toujours été ouverte, cette maison. Comme toujours. Partout.

Parfois, nous nous réservions la solitude. Pas d'amis. A peine les voisins qui, si la porte était fermée, n'insistaient pas et déposaient la laitue ou les tomates à l'abri de la marquise. Tu préparais des tartes, avec les grosses prunes sombres dont l'arbre était couvert certaines années. J'en ai fait de la confiture, ma première confiture. La seule. Faut-il mettre le sucre en même temps? Après les fruits? La question faisait le tour des trois maisons.

L'hiver, quand nous arrivions, il fallait d'abord allumer le chauffage. Premier geste, le tien, pendant que je remettais en route le coucou arrêté sur l'heure de notre départ précédent. Nous ouvrions les lits pour en chasser l'humidité. Le soir, il faisait bon sous les couvertures. Mon matelas de crin, trous et bosses, collines et vallons, ne m'a jamais endolori le dos.

L'odeur de la chambre, les choses qui nous avaient attendus. Les mouches restées prisonnières au sol, vidées de leur substance. Le matin, avant d'ouvrir les yeux, ce sont les bruits qui nous renseignaient. Les oiseaux dans le noisetier en face, les cris des chiens affamés pour la chasse, le silence de la neige. Alors, quand le décor s'était remis en place, je plongeais la main sous le drap, au chaud, t'entendant respirer doucement dans la chambre voisine, et je repassais la frontière.

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