vendredi 22 août 2008

Lettre à Pierre: onzième lettre.

Voici les derniers mots que je t'ai dits, Pierre, il y a trois ans, debout devant le rectangle de bois qui me masquait le monde. Ces mots, je les ai arrachés de mes tripes. Je voulais les prononcer. J'avais peur de ne pas y parvenir. Je ne sais pas si tous m'ont entendu. Ma voix se perdait parfois dans un sanglot trop fort. Maurice, ton frère, était tout prêt de moi. Je l'ai voulu ainsi, nous t'avions accompagné tous deux. Toi, je sais que tu m'as entendu.

Pierre, mon Pierre,

Tu n'es plus là. Pendant trente-trois ans, nous avons cheminé ensemble. Nous avons passé chaque jour de ces trois dernières années à lutter contre ta maladie, à garder toujours l'espoir ancré en nous malgré les souffrances et la peine. Et mardi, tu es parti. Calmement, tu as arrêté de vivre. Le combat était fini pour toi.

Le dernier mot que je t'ai dit à la clinique, c'est merci. Je crois que beaucoup de gens, présents ici ou pas, pourraient eux aussi te dire merci. La plupart ont bénéficié de tes conseils, de ton amitié, de ton intelligence, de ton humour. Si parfois tu n'étais pas payé en retour, tu en étais surpris et tu en souffrais: il était loin de toi, le monde des mesquins! Mais tu continuais avec les autres, avec tous ceux, la majorité, qui furent tes vrais amis.

Nous nous sommes mutuellement épaulés pendant trente-trois ans. Tu m'a appris à aimer Bach, je t'ai appris à aimer les chiens; tu m'a appris à être plus patient, je t'ai appris à te défendre parfois; tu n'es jamais parvenu à m'apprendre le nœud de cravate (la preuve!), je n'ai jamais vraiment réussi à te faire harmoniser chaussettes et pantalon. Mais surtout, nous nous sommes appris à vivre, heureux sans oublier personne. C'est pour cela que je te dis, merci, mon Pierre: pour ce bonheur, cette lumière qui illuminait le bleu de ton regard, cette intelligence qui ne demandait qu'à partager et embrasait l'autre, cette connivence que nous avions au-delà des mots.

Le jour de ton ordination, tu avais choisi la phrase de Saint Irénée: "La gloire de Dieu, c'est l'homme vivant". Tu es parti mardi, jour de la Saint Irénée, veille des Saints Pierre et Paul. Cette phrase, mon Pierre, je l'aime, car je sais grâce à toi qu'elle est vraie: tu as toujours été et tu resteras toujours pour moi un HOMME VIVANT. J'espère, pour le temps qui me reste à vivre, ne jamais démériter de toi.

Merci, mon Pierre.

3 commentaires:

Tef69 a dit…

Merci aussi à toi ! Tu as eu raison de retranscrire ce dernier message adressé à Pierre...

Anonyme a dit…

C'est dur à lire, alors le dire...C'est beau.

Anonyme a dit…

Je me souviens bien de t'avoir entendu lire cette lettre. Je me souviens de l'émotion qui montait en particulier à l'évocation des choses simples de tous les jours comme le nœud de cravate. Je me souviens que je t'avais trouvé bien courageux d'"oser" dire "mon Pierre " devant tant de monde. Sur ton blog j'ai d'abord lu cette lettre. Ensuite j'ai commencé à en lire d'autres. Tes mots font naitre des images, des souvenirs, les yeux bleus de Pierre derrière ses lunettes, le petit bol savoyard de Bons que j'expose encore dans une vitrine, Pierre se laissant barbouiller de la confiture du gouter par Delphine juchée sur son dos, la descente à Valence pour écouter Boimondo. Et puis Ciccio et puis Avenue de Saxe (au fait j'ai mal aux pieds de penser à Spinoza, t'en souviens-tu ?) et puis.. Mais quand je lis votre tendresse j'ai l'impression de regarder par le trou de le serrure.. En tout cas tes mots fonctionnent, recréent la vie. Un blog sur internet c'est un peu l'éternité finalement .Bravo et bonsoir! Evelyne.