Ce matin, j'ai découvert, au fond de ma bibliothèque, un petit livre ocre-gris publié au Mercure de France en 1947. Sur la première de couverture apparaît le casque ailé du dieu romain, messager de l'Olympe. En caractères gras, l'auteur et le titre: Albert Samain, Aux Flancs du vase, puis, en plus petit, suivi de Polyphème et de poèmes inachevés. Cent-vingt-septième édition.
Je n'avais jamais vu ce livre, je ne sais pas comment il est arrivé là, mais ma grande joie du matin fut de découvrir qu'il n'était pas découpé. Cette défloration est pour moi un acte sacré perpétré sur un objet sacré. Muni d'un couteau bien effilé, j'ai commencé ainsi à détacher les pages les unes des autres, quatre sur la partie haute, quatre aussi sur la tranche, quatre sur la partie haute, quatre aussi sur la tranche, et ainsi de suite jusqu'à la dernière. Pour chacune, je veille à ce que la découpe soit la plus franche possible et, la page libérée, je la caresse comme un enfant qui voit le jour pour la première fois.
Ces pages jaunies, piquetées de rouille pour certaines, au papier épais et accrochant, sentent la vieille encre et la poussière, une odeur d'étude du soir au plein coeur de l'hiver. Si l'on ouvre en grand le livre, on voit le fil qui relie les feuillets. Juste avant le texte, cet avis:
Il a été tiré de cet ouvrage cinq exemplaires sur Japon impérial numérotés de 1 à 5, trois exemplaires sur Chine numérotés de 6 à 8 et dix-neuf exemplaires sur Hollande, numérotés de 9 à 27.
La poésie est déjà dans cette page: Japon impérial, Chine, Hollande... Ces termes existent-ils toujours en édition?
A la page 22, ouverte au hasard, je découvre ce petit poème, au titre un peu abscons (aucun prénom apparaissant dans ce recueil n'étant à la portée de n'importe quel enfant!), mais au contenu hautement explicite, même si l'on remarquera, comme disait le Tratuffe de Molière, "qu'en des termes galants ces choses-là sont dites"!
MNASYLE
Le troupeau maigre épars aux rochers du rivage
Broute le noir genièvre et la menthe sauvage...
Au large la mer luit comme un métal ardent.
Soudain le bouc lascif se dresse, et, titubant,
Sur la chèvre efflanquée à l'échine rugueuse
Satisfait au soleil sa luxure fougueuse.
Et Mnasyle, l'éphèbe en fleur de Scyoné,
Aussi beau qu'une vierge et d'iris couronné,
De ses longs yeux d'or noir le regarde étonné;
Et, pris de langueur vague en l'exil de la grève,
Laisse flotter sa main sur sa chair nue, et rêve...
Ah! L'appel de la nature!
dimanche 3 août 2008
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1 commentaire:
Arbre qui parle
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Un arbre grandissant loin de tous les rivages
Invente, pour lui-même, un dialecte sauvage.
Le sens de sa parole est loin d'être évident,
Les animaux des bois tremblent en l'entendant.
Le boeuf, captant le son de la langue rugueuse,
Traduit aux échassiers ces paroles fougueuses ;
Les oiseaux, découvrant ces mots désordonnés,
Respectent, pour leur part, un silence étonné.
De cet arbre parleur, quand le discours s'achève,
Les animaux, pensifs, partagent les beaux rêves.
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