Les cimetières sont des lieux pleins de noms d'anonymes. Ce qui fait une partie de leur charme.
On peut errer dans les allées et s'arrêter devant telle ou telle tombe parce qu'elle est trop laide ou au contraire sobre et émouvante, parce que la végétation d'un rosier abâtardi a envahi le marbre jusqu'à le briser, parce que le nom des familles enterrées rappelle un lointain souvenir, fait sourire (Comment peut-on s'appeler ainsi?) ou surprend par son exotisme. Un charme certain des cimetières avec leurs allées de vieux arbres, ifs ou platanes, à l'ombre desquels les chats du territoire font la sieste, un oeil toujours ouvert sur le passant qui passe, potentiel danger ou main qui nourrit.
Mais, hormis ces présences félidées et quelques silhouettes de vieillards penchées par l'aimant de la terre et vite disparues derrière les croix de granit, ce sont des lieux de solitudes où rarement conversation accroche le silence.
La tombe de Pierre est dans un alignement en contrebas de l'entrée principale. Cette allée, plus récente apparemment, n'est ombragée d'aucun arbre. Aussi l'ai-je repérée très vite en arrivant ce matin. Une femme se tenait au pied de la tombe voisine et semblait se recueillir.
Je savais que cela arriverait un jour, je le souhaitais même: mettre un visage, un regard, un sourire ou un mutisme sur un proche des compagnons de Pierre, avoir un modeste aperçu de la famille dont un des membres est allongé près de lui. Une femme fragile, silhouette gracile d'adolescente pour ce vieux corps au teint étonnement mat, à la chevelure brune, au visage fatigué malgré le hâle.
Pour ne pas l'effrayer, je lui dis bonjour immédiatement et lui annonçai que je venais tailler les fleurs de la lavande dont les tiges, et je m'en excusais, débordaient largement sur chacune des tombes latérales. Elle me répondit avec une voix chaude, elle aussi un peu fatiguée mais qui n'excluait pas la possibilité de poursuivre l'échange.
Nous avons ainsi bavardé une vingtaine de minutes et quelques confidences sont venues, de part et d'autre, bien vite. Ses origines italiennes, tout près de Cassino, au sud de Rome, sur la route de Naples, sa maison de campagne près d'Eymoutiers dans la Haute-Vienne, la maladie de Parkinson de sa mère enterrée là sous la dalle rose, mon amour du jardinage, mes amis de la Creuse, Pierre (un peu, un tout petit peu), la lavande...
J'ai rempli un sac des fleurs odorantes en les soustrayant au butinage des abeilles et des guêpes puis arraché quelques mauvaise herbes. Pendant que, volontairement, j'abandonnais cette femme pour jeter les déchets à la benne, je la vis se pencher à nouveau sur la tombe et lui envoyer une dernière prière qu'elle termina par le signe de la croix. J'étais heureux de ne pas l'avoir gênée de ma présence pendant cet ultime instant de recueillement.
Ensuite elle est partie et j'ai, à mon tour, répété ce geste simple et intime. Il faisait beau. J'ai eu l'impression à cet instant de faire partie d'une grande famille, non pas en religion mais en humanité. Je ne sais pas si un oiseau chantait au-dessus de moi.
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