Nous en sommes au moment du trajet où les voyageurs commencent à trouver le temps long. On a mangé, dormi, noirci des grilles de mots croisés, bu plusieurs fois à sa petite bouteille plastique, regardé le paysage, les autres. Que faire maintenant? A la montre, il reste encore du temps à tuer, de longues minutes à passer, et le siège gratte, les jambes sont lourdes, la nuque se raidit, lentement mais inexorablement. On bâille, on soupire, on essaie de s'étirer un peu sans déranger le voisin, on prend des pauses acrobatiques, vite abandonnées pour leur inconfort, et puis l'on replonge dans ses pensées, toujours rythmées par ce bruit de roues des trains, pour moi un des agréments majeurs du voyage.
Commentry. Grosse gare sans caractère. Seuls deux rosiers sont beaux, au bord de la voie, plantés par qui? Un employé sur le quai me semble séduisant. Dès qu'il sourit, cet effet s'estompe totalement. Comment certains peuvent-ils devenir laids en souriant? La denture peut-être, ou une bouche trop largement ouverte.
Le roman parle de la douleur des parents après la mort accidentelle de leur fils de onze ans. Alterner lecture et écriture m'aide à supporter ces pages lourdes. 1971: ma petite soeur de onze ans aussi, noyée aussi. Un jeune homme vient de passer, une armoire à glace, corps d'athlète, regard de poussin.
Montluçon. Tarass Boulba et Frère Paul descendent à cette gare. Le ciel est maintenant vraiment couvert. Toujours ces voies interminables envahies par les herbes folles. Deux tout jeunes s'installent en face de moi. Ils sentent la cigarette. T-shirt noir Nike, MP3 et cordon pour embout dans les oreilles. Le garçon a le coude gauche tout érafle, comme un petit enfant. Il mâche un chewing-gum et ne peut cacher le bout de son nez quasi lumineux. Ce que je fais l'intrigue beaucoup. Il me regarde fixement puis essaie à l'envers de déchiffrer mes pattes de mouche. Bon courage! Certains n'y arrivent pas à l'endroit. Le frère et la soeur sans doute: ils ont les mêmes yeux, et, miracle et satisfaction, ils parlent peu et à voix basse. Derrière moi, le bruit agaçant et répétitif d'un jeu vidéo.
Le soleil revient, les sapins aussi. Beauté d'un châtaignier, solitaire au milieu d'un pré. Maintenant les grands espaces cultivés font place à des friches, terres mal entretenues, à des bosquets, à une sorte de bocage dont on devine qu'il n'était pas là il y a quelques dizaines d'années et qu'il a remplacé les cultures que les hommes, autrefois, y avaient implantées. Les maisons de pierres grises, bien taillées, de la Creuse apparaissent peu à peu. Il me reste une grosse demi-heure de voyage. Le reste est passé vite. Beaucoup de maisons fermées. On s'approche du désert.
Je me suis laissé prendre par la lecture. Après un début difficile, consacré en partie à des considérations sur l'art, je crois que ce roman me plaira. Pierre était avec moi,jadis, sur ces routes de la Creuse que j'aperçois depuis le wagon. Voilà, c'est tout. Cette idée m'a traversé, elle ne me rendra pas triste. Je suis content de rejoindre Noëlle et son mari. Les lieux ont déjà été désacralisés. Ils n'ont plus la charge émotionnelle que je redoutais d'y retrouver à chacun de mes voyages.
Après Pierre, c'est à J. que je pense. J'allais écrire "curieusement" mais il n'y a rien de curieux à cela. Des suites, comme celles de Bach pour violoncelle, parfois avec la même nostalgie, parfois avec le même bondissement de bonheur.
Nous passons sur un viaduc. Tout près, le restaurant "du Viaduc". J'aime cette poésie évidente des choses simples. Y aura-t-il cette année, en lisière des forêts, ces fougères géantes que j'aime tant? J'ai apporté l'indispensable pour courir. Noëlle a, m'a-t-elle dit toute fière, repéré un itinéraire pour moi. "En marchant", a-t-elle précisé. Je me rends compte tout à coup que ni elle ni son mari ne m'ont vu amaigri. Quelle sera leur première réaction?
Au bord de la voie, dans un petit village, une église de la Creuse, trapue, pierre grise, cloché tronqué et massif, au toit d'ardoise sombre, chapeau de pénitant. J'arrive bientôt. Dix minutes à ma montre. Je vais cesser d'écrire, de lire aussi. Il me faudra bien tout ce temps pour retomber dans le monde réel.
vendredi 11 juillet 2008
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