Je sais ce qui m'a réveillé de mon somme: les deux enfants ont vraiment fait connaissance et échangent quelques souvenirs marquants de leur courte vie, à grands renfort de cris et de rires. Deux étudiants (?) bavardent aussi à bâtons rompus à quelques rangées en avant. Seuls les cheveux dressés par le gel de l'homme dépassent. J'entends plus loin de l'espagnol. Qui parle? Une femme, que je ne vois pas. Ma voisine dort, pliée sur la tablette centrale. Mon voisin d'en face, Yul Brynner, est toujours imperturbable, mais je sens qu'il suffirait de lui adresser quelques mots pour engager une longue conversation. Je ne le ferai pas. Le curé dort, la tête dodelinant contre son siège.
Un veau tête sa mère et s'arrête pour regarder passer le train. Les roues de foin dans les prés. Pays plat, encore. L'Allier, sans doute. Peu d'habitats. Grandes étendues d'herbages. Rangées de peupliers. Elles auront rythmé ce voyage. Quelques villas clés en main, orgueilleuses, façon "Régency". L'horreur! A côté, des fermes dignes de la Soupe aux choux. Je préfère ça: des autochtones, elles. Un champ de tournesols balafré par les pylônes d'une ligne à haute tension. Tristesse de ces immensités plates. Je préfère les collines, la surprise est toujours possible derrière.
Gannat, au milieu de nulle part. Je me souviens qu'il y a deux ans, nous avions attendu longtemps ici. Quoi? Une correspondance? Personne ne nous l'a jamais dit. Des wagons bâchés stationnent sur le quai parallèle, en plein soleil. Que peut-on transporter là-dedans? Je vois le jeune contrôleur sur le quai de sortie. Il ne porte plus sa casquette. Il a fini son service. Frère Paul s'est réveillé, lorsque le train s'est arrêté, mais fixe sur les choses de ce monde un regard encore bien ensommeillé Je suis à la moitié du trajet. Le temps a passé vite, à écrire beaucoup, somnoler un peu et lire presque pas.
Une certaine agitation. De jeunes voyageurs montent, dont une fille aux bras cramoisis. Le train repart, à l'envers. Je préfère l'autre sens, lorsque je suis plaqué contre le siège. Tarass Boulba est en fait marseillais. Sa petite fille vient lui parler d'une ampoule qui la fait souffrir à un doigt. Nous croisons une autoroute, presque déserte. Curieux comme les adolescents ont toujours l'air pressé de circuler dans les couloirs de train. Pour quoi faire? Quel est ce but, cette destination qu'ils ont tellement hâte d'atteindre de leurs grandes jambes disproportionnées? Probablement rien, juste une façon de masquer un pudeur ou un mal-être.
A nouveau des collines, des feuillus et des tunnels. La ligne serpente
à mi-hauteur, d'un côté les arbres, de l'autre le vide. L'asiatique aux tongs (joli au son?) fait des mots croisés. Encore du maïs, et d'autres cultures que je ne reconnais pas. Du blé maintenant, strié de longues lignes géométriques, droites ou courbes. Je ne peux pas prendre de photos...
Je n'avais pas encore remarqué le nez long et pointu de Frère Paul, bien repérable de profil. Immensité de ce centre de la France, délaissé, mal aimé, déserté comme le sont les campagnes de Haute-Marne, du côté de Joinville-en-Vallage. Il faudra, avant qu'elle ne disparaisse, que je programme un séjour chez Odile, dans cette petite ville justement. Odile est l'ancienne gouvernante de l'oncle prêtre de Pierre. Elle fut, comme moi, une pièce rapportée dans la famille et, comme moi sans doute, éjectée après la mort de son compagnon. Ça crée des liens. Mais je n'ai pas le courage de parcourir cette longue route seul.
Le ciel se couvre. Les espagnoles sont deux femmes d'une trentaine d'années, qui ne cessent de rire de ce qu'elles se racontent. Je n'avais pas imaginé la pluie à l'arrivée à Guéret. Je vais lire un peu. Il y a trop longtemps que j'ai commencé Tout ce que j'aimais , de Sini Hustvedt, un roman qui me plaît mais dont la lecture souffre de ma nouvelle soif d'écriture et de bains de soleil, de récupération de sommeil aussi. D'ailleurs il devient de plus en plus difficile d'écrire dans ce wagon, le train ne cessant maintenant de cahoter sur des rails qui mériteraient peut-être d'être mis à la retraite.
La première phrase que je lis est: "Sans Bill, je pense que je me serais desséché complètement, le vent m'aurait emporté." Cette phrase m'émeut. Je pourrais moi aussi citer un ou deux noms qui, ces trois dernières années, m'ont aidé à ne pas me dessécher, ont laissé le vent emporter ce qui était mort et permis au ssoleil de faire apparaître de nouvelles pousses.
(à suivre)
vendredi 11 juillet 2008
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