vendredi 11 juillet 2008

Lyon-Guéret (2)

Un vieux maghrébin vient de s'installer, en m'en demandant la permission, sur le siège face à moi. Fini les jambes étirées, mais le visage est intéressant: un contour ovale, crâne chauve, oreilles assez développées, à l'ancienne, une vieille cicatrice à peine perceptible sur le menton. C'est comme ça que j'imagine Tarass Boulba. Une certaine ressemblance avec Yul Brynner.

13h45. J. doit déjà rejoindre son travail. Le contrôleur vient de passer. C'est bien une casquette SNCF et il la porte bien. De plus, politesse et beau sourire. Soupir (de ma part). Le train traverse une belle région très vallonnée dont les collines rapprochées sont couvertes de sapins. Je pense que nous approchons de Roanne. Le prêtre mange, oui, comme tout le monde. Une autre asiatique joue avec son téléphone portable. Les enfants commencent à sentir des fourmis dans les jambes et accaparent le couloir central. Ils n'ont pas encore fait connaissance.

Je pense que tout cela pourrait être un convoi des morts de la journée, de la matinée, en partance pour où? Enfer? Paradis? Tous âges, tous physiques, toutes couleurs. C'est sans doute la traversée de ce long tunnel qui me donne ces idées noires.

Déjà près d'une heure que nous sommes partis. Je repense à J. Toutes ces attentions, parfois. Ne pas s'emballer, surtout, prendre ce qui est, rien d'autre.

Certains de mes voisins, peu nombreux, me regardent écrire sur ces feuilles A4 de papier jaune canari, pliées en deux. Ils arborent un petit sourire, à la fois compréhensif et interrogatif. Que fait-il?

Comme c'est beau, la France! Le premier troupeau de vaches à l'ombre maigre de quelques arbres, un abri pour le foin, sans doute une rivière au fond de ce sillon, une ligne de peupliers. Du blé, là-bas, déjà coupé, qui attend d'être bottelé (on ne dit tout de même pas "gerbé"?). Un deuxième troupeau, plus racé celui-ci: des charolaises uniquement. Des usines à l'ancienne, avec leurs hautes cheminées de briques et leurs toits en dents de scie, aux pentes dissymétriques. Une autre ligne de peupliers, bordant un chemin terreux et une rivière aux eaux étales.


Le prêtre, Frère Paul, n'a pas fini de manger. Il a bon appétit. Parviendra-t-il, en vieillissant, à ressembler aux moines dodus des couvercles de camemberts? Plus de fleurs: c'est l'été. Le jaune s'impose peu à peu. "A vendre, local industriel": une usine à la campagne? Du maïs maintenant, pas encore mûr, et, tout à côté, une fabrique de meubles de jardin et un petit hôtel-restaurant. Brusquement, la campagne s'arrête. Zone artisanale? Zone industrielle? Nous approchons d'une ville. Une ancienne station-essence (béton) abandonnée. Je pense à la N7, à Montélimar. Sans doute y en avait-il une semblable à l'entrée de la ville? L'ai-je vue en réalité, ou sur une photographie, ou sur un documentaire chantant la nationale la plus célèbre de France?

C'est bien Roanne qui approche. Nous venons de passer sans nous arrêter la gare du Coteau et traversons la Loire en ce moment même. Une église, massive, de pierres rouges, rappelant, par sa couleur uniquement, la Cathédrale d'Albi ou certains monuments de grès rose d'Alsace. Voici la gare. Les fourmis s'agitent sur le quai. Pourquoi tant d'asiatiques aujourd'hui? La blonde revêche descend. Aucun contact. Face aux quais, une maison assez ordinaire mais au toit de tuiles colorées et vernissées, comme celle des Hospices de Beaune, en Bourgogne voisine. Une vieille religieuse et sa valise à roulettes, tanguant dans le couloir du train qui redémarre. J'ai sommeil.
(à suivre...)

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