J'ai profité du temps de la sieste pour terminer le roman japonais que j'ai évoqué il y a quelques jours. Il s'agit de La Femme des sables, de Abé Kôbô, paru au Japon en 1962 et disponible aujourd'hui en France dans la collection Biblio du Livre de Poche. Dès sa parution, il reçut un prix au Japon, puis, en 1967, fut couronné chez nous par le prix du Meilleur Livre Étranger.
Ce livre ne laisse pas indemne, en tout cas pas moi. Je suis content de l'avoir terminé et d'échapper ainsi à la sensation d'enfermement ressentie pendant toute la lecture.
L'histoire est très simple et la résumer peut tenir en quelques mots: un scientifique part à la recherche d'un insecte rare qui vit dans le sable et arrive le soir dans un village au bord de la mer. Ce village semble envahi par d'immenses dunes qui le menacent à tout instant. Sur sa demande, on lui trouve une chambre pour passer la nuit, chez une femme étrange qui vit dans une maison, délabrée comme toutes les autres, au fond d'un énorme cratère dans le sable. Le jour suivant, il se rend compte qu'il est en fait prisonnier et que la pente abrupte ne peut être remontée sans l'aide de l'échelle de corde que les villageois ont relevée.
Les chapitres relatent le travail de la femme, chaque nuit, pour empêcher le sable de détruire totalement sa maison, les colères et les abattements de l'homme, son impuissance, sa volonté de s'échapper de ce trou où il étouffe, ses pulsions sexuelles, ses ruses et finalement... Mais il faut lire.
Pour ma part, cette sensation d'enfermement correspond trop à ce que je ressens en ce moment pour me laisser indifférent. Le malaise était quasi physique devant certains passages. Je ressentais physiquement cet enfermement.
Hautement symbolique sans doute, ce livre peut se lire sur plusieurs registres, dont celui d'une représentation allégorique de la destinée humaine. Moi, je vais vite ce soir chasser ce malaise en entamant un autre ouvrage plus calme. Pourquoi pas Erri De Luca ? Mais, en entrant dans mon lit, vais-je résister à la pulsion qui me fera en chasser les derniers grains de sable imaginaires ?
Car, en vérité, de dénicher être au monde aussi profondément rongé par le ver de l'envie que l'est l'enseignant, c'est ça qui en serait un, de miracle!... Sans doute, le maître a ses élèves. Mais d'année en année, semblables à l'eau de la rivière, les élèves s'en vont toujours plus loin, emportés par le courant: seul le maître est laissé en arrière, toujours, condamné à la même immobilité qu'une pierre profondément ensevelie à l'amont de la rivière: c'est ça, sa destinée! Sans doute encore, le maître porte en lui des désirs, des espoirs. Mais il a beau en entretenir autrui: jamais, fût-ce en rêve, il ne les voit se réaliser... Les enseignants! Le sentiment les habite qu'ils ne sont que haillons et déchets, et les voici tirant plaisir de s'infliger à eux-mêmes cette torture solitaire. A moins que, s'en prenant aux autres, ils ne s'appliquent, sans repos, à montrer du doigt le dérèglement des consciences, à ériger leur méfiance en profonde vertu, et à se ménager par là une parfaite fin d'homme de distinction... L'excessive intensité même de leur aspiration vers une vie dont leur seul caprice serait le seul maître fait qu'ils ne peuvent souffrir de voir personne autre agir selon sa propre et libre fantaisie sans aussitôt le prendre en haine!...(Traduction de Georges Bonneau).
(Ce passage n'est pas très représentatif du livre, mais on comprendra facilement pourquoi je l'ai choisi!)
dimanche 18 mai 2008
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4 commentaires:
Merci de nous faire partager vos lectures. Je vais certainement commander ce livre. Le passage que vous avez choisi me fait penser au livre de Georges Steiner "Maîtres et disciples", même si c'est une autre "écriture".
Je vous aurais prévenue! Franchement, il m'a mis mal à l'aise. Plus qu'aucun autre roman japonais auparavant.
C'est un livre étouffant, pire que l'enfermement. Une fois peut-être on pourra en parler plus longuement.
J'aimerais beaucoup. Je n'ai pas totalement compris pourquoi il m'a provoqué cette réaction, alors qu'en même temps, je voulais finir de le lire. Je voudrais bien connaître votre sentiment, si vous avez le temps.
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