Presque chaque jour, je longe en roulant un immeuble dont il ne reste que quelques pans de murs accrochés aux maisons voisines.
Cet immeuble, petite construction modeste et sans grâce du XIX°siècle, s'est effondré une nuit, il y a cinq ou six mois, après avoir eu la politesse de prévenir ses occupants quelques heures à l'avance par de sinistres craquements.
Aujourd'hui, plus personne ne semble en parler dans le quartier. Après avoir fait la une de l'actualité, il attend qu'on veuille bien l'achever. Il y a une certaine impudeur à montrer ainsi ce qui reste de la vie passée, ces morceaux de papiers peints, ces morceaux de vies anonymes collés à des pierres branlantes. C'est un peu comme une très vieille femme dont les jupons relevés jusqu'aux genoux montreraient des dessous douteux et malodorants sans qu'elle-même en ait conscience.
Je n'aime pas voir ces ruines impudiques. La maison de mon enfance a été démolie. La sachant condamnée, à l'insu de tous, je suis allé, un jour, avec une masse subtilisée à mon père,détruire tout ce que je pouvais à l'intérieur, les closons, les cheminées, les placards, les rampes d'escaliers. J'ai fait ça par respect pour ces murs qui avaient vu passer quatre générations de ma famille. Personne d'autre n'avait le droit d'y toucher que moi. Sans doute un cavalier éprouve-t-il la même chose en abattant son cheval blessé. J'avais les yeux aveuglés de larmes mais je criais pour accompagner et amplifier chaque coup porté. Ensuite, je suis parti sans me retourner: la page devait et pouvait être tournée. J'avais vingt ans.
Mais je ne peux voir un reste de papier peint à fleurs délavé sur un mur croulant sans un pincement au coeur.
Tout à côté de l'immeuble, mon père venait chaque semaine chercher ses magazines. J'ai pensé ce soir qu'il aurait certainement trouvé à faire un jeu de mots approximatif sur la situation. Ça aussi, ça me manque.
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