mardi 22 janvier 2008

La bonne du curé.

Ce soir, j'ai envie de parler de O. qui m'a appelé dernièrement pour les voeux, alors que je m'inquiétais déjà qu'elle n'ait pas répondu à ma carte, elle si fidèle.

O. a l'âge de ma mère, soit 84 ans. C'était la gouvernante de l'oncle prêtre de Pierre. D'origine champenoise, elle vint exercer quelque temps le métier d'institutrice à Annecy, dans une école privée, après la guerre.

Comment connut-elle J. ? Je n'en sais rien, ou plutôt je ne l'ai pas retenu. Mais, de ce jour, elle ne le quitta plus et consacra sa vie à cet homme. D'institutrice, elle devint bonne de cure. Je fis sa connaissance assez rapidement après ma rencontre avec Pierre, cet oncle étant pour lui, par les sentiments et par l'âge, comme un grand frère. Ainsi, très vite, alors que Pierre avait quitté l'Institution, je fréquentais avec lui les presbytères de Haute-Savoie, de montagne, puis des bords du Léman.

O. était aux petits soins pour Pierre, et, sans jamais poser une seule question, elle m'adopta. J'eus droit comme lui à de bons petits plats laissés à mijoter toute la matinée sur le coin de la cuisinière, à des desserts rustiques mais délicieux, à des infusions de plantes inconnues qu'elle allait ramasser dans les alpages ou au bord des routes.

Car O. est la reine du système D. Quand on la voit, la première fois,on la pense un peu demeurée: petite, massive sans être forte, se déplaçant par à-coups, parlant fort avec cet accent de l'est qu'elle n'a jamais perdu, les pieds constamment dans le concret. on se dit qu'à part faire la cuisine, elle ne doit pas être bonne à grand chose.

Or, ce qui transparaissait très vite quand on la voyait avec son "curé", comme elle l'appelait quand elle parlait de lui, c'est qu'ils étaient profondément attachés l'un à l'autre, j'oserais dire qu'ils s'aimaient. Un homme de la subtilité de J. pouvait-il aimer une demeurée?

O. a l'intelligence du pratique. Devant n'importe quelle difficulté, elle réfléchit longtemps pour trouver l'"outil" qu'elle va inventer pour se simplifier la vie, et elle y parvient, et elle crée. Quand je suis, et c'est quelquefois le cas, dans la position d'une poule qui a trouvé un couteau, je me demande: "Voyons, comment O. aurait-elle procédé? Du calme et de la réflexion." Et souvent,la solution m'apparaît grâce à ce cheminement sans détour, purement terre à terre.

Lorsque J. est mort, O. est repartie dans la région de Troyes, elle a rejoint deux de ses soeurs célibataires qui occupent la villa familiale. J'ai eu très peur pour elle: jamais elle ne pourrait rester avec ces deux femmes, certes gentilles, mais vieilles filles jusqu'au bout des ongles, et n'étant jamais allées plus loin que le chef-lieu du canton. Effectivement, O., très vite, loua un petit appartement pour elle seule et son chat.

Je ne sais pas comment , avec la retraite de misère qu'elle touche, elle arrive à joindre les deux bouts. Cela relève du miracle et de sa fabuleuse débrouillardise. Elle est capable de se nourrir une semaine entière avec des plantes, des baies et des fruits cueillis en pleine campagne. L'hiver, elle plonge dans les réserves qu'elle a elle-même lyophilisées. Chez elle, aucun trou n'a été percé dans les murs, tout tient par ses inventions, je ne sais comment. Elle récupère, rénove, recycle et souvent donne: un Emmaüs à elle toute seule.

Après son téléphone, j'ai reçu aujourd'hui son petit mot. Je les garde tous: je n'ai rien de plus original. Il faudrait les publier, car je crois que c'est de la littérature. Son coeur y est tout entier. Fidèle jusqu'au bout. Alors qu'une partie de la famille de Pierre m'a, depuis son décès, tourné ostensiblement le dos, une infime partie heureusement, mais si proche autrefois, voici ce qu'elle m'écrit pour terminer sa lettre:
Il est 18h30. Quand tu viendras, on sera "heureux". Vivement qu'on se voit! On a fait du beau travail, tous les deux, avec Pierrot et J.. Il fait nuit, ça ne glisse pas, c'est bien. Je t'embrasse très fort. O à J.

Oui, O.: on a fait du bon travail, et la vie nous a fait à tous deux un très beau cadeau.

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