dimanche 27 janvier 2008

Brouillard du temps.

Aujourd'hui, nous nous sommes rendus sur le caveau familial, dans un village proche de Saint-Etienne.

A l'allée, nous avons emprunté l'autoroute, mais au retour, nous avons suivi l'ancien itinéraire et sommes passés par la vieille route qui franchit les monts du Lyonnais. Le temps était couvert et glacial à Lyon, plus ensoleillé,plus doux et aussi plus venteux à Saint-Etienne. Mais les deux villes étaient séparées par une couche très épaisse de brouillard.

Ma mère, tout au long du retour par la vieille route, a égrené des souvenirs liés aux lieux traversés: nous avions mangé dans ce restaurant, la cousine de Madame X. avait habité ici, ta soeur, quand elle était toute petite, est venue en vacances dans ce village, chez la cousine Y., dans cette ferme, ils vendent de très bons poulets, etc, etc.

Tous ces souvenirs évoqués, je les connaissais déjà pour les avoir entendus maintes et maintes fois. Aussi n'y prêtais-je qu'une oreille modérément attentive, plus soucieux de ne pas commettre d'imprudence dans le brouillard qui nous entourait et dont seuls émergeaient les phares des automobiles roulant en sens inverse.

Pourtant, peu à peu, il s'établit dans la voiture une étrange atmosphère. Ma soeur, à l'arrière, ne disait rien. Ma mère continuait ses évocations, me prenant souvent pour mon père, s'adressant à moi comme si c'était lui et me demandant de confirmer des faits de bien avant ma naissance.

L'étrange, c'est que je me rendis vite compte que moi aussi, je voyais mentalement défiler mes souvenirs liés à cette route, alors que j'avais dû faire un effort pour ne pas le reprocher à ma mère quelques minutes plus tôt. Pour moi aussi, resurgissait le passé: le car qui nous avait emmenés, mon père, mon frère et moi, à la foire de Lyon et qui mettait des heures pour franchir la distance d'à peine soixante kilomètres, la mare à demi gelée où avec Pierre, nous avions tant ri de voir notre chien s'avancer de façon téméraire sur la surface glacée puis reculer, épouvanté, quand la patinoire commençait à s'enfoncer sous son poids, avant de recommencer encore et encore, le restaurant tenu par les parents d'un ancien élève du lycée professionnel, la cueillette des mûres...

Nous baignions dans la ouate, le monde avait disparu sur ces plateaux redevenus désertiques et les lieux n'apparaissaient que quelques secondes,sans contours, sans réalité tangible, nappés un instant de la lueur blanche des phares, le temps que s'installe le souvenir, oral ou mental, avant de sombrer à nouveau avec lui dans l'opacité de l'air et les méandres de la mémoire.


Lorsque, de l'autre côté, j'ai vu réapparaître la vallée du Rhône, où le vent avait chassé les nappes de brouillard, j'ai cru à l'émergence d'un autre univers, plus net dans ses contours mais moins réel dans sa prégnance. C'était un peu comme poser le livre que l'on est en train de lire et se lever pour recommencer son quotidien.

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