mardi 8 janvier 2008

Venise

Je voulais déjà aborder ce sujet dans un message à l'époque de l'abécédaire, mais je n'ai pas trouvé l'angle d'attaque, et la possibilité de transmettre une impression aussi fugace, aussi indicible, me semblait quasi inexistante avec les mots qui sont les miens.

Pourtant, j'y reviens aujourd'hui, avec les mêmes mots invalides et la même appréhension de ne pas me faire comprendre. Je lisais hier un billet traitant de l'inadéquation, parfois, entre la réalité d'une chose et le mot pour la nommer . Venise était alors prise pour exemple. J'ai exprimé à peu près le même sentiment dans mon tout premier billet, Débuts,en disant que je ne connaissais pas le "vrai" Potomac, mais que cela n'avait aucune importance,que je ne désirais même pas le connaître, puisque le mien, je le portais en moi.

Mais c'est l'évocation de Venise qui m'a remis en tête cette surprenante expérience vécue il y a déjà de nombreuses années.

Une nuit, à Lyon, j'avais fait un rêve étrange dont, plus étrange encore, je me souvenais parfaitement au réveil. Plus exactement, je n'avais pas rêvé de personnes connues ou inconnues, de gestes, d'actes de la journée ou des mois précédents réinterprêtés par mon inconscient, je n'avais pas recomposé une scène vécue en l'adoucissant pour qu'elle me soit acceptable et flatte mon narcissisme, ou en la chargeant d'angoisse pour mon auto flagellation nocturne.

L'image qui me restait au réveil était celle d'un tableau, d'une image qui, en plus de la vue, sollicitait le toucher et l'odorat. Il s'agissait d'un ciel de nuit, d'un bleu mi-sombre, voilé par un soupçon de brume mais pourtant limpide, enveloppé d'un air humide et frais dénotant la présence de l'eau non loin, tremblotant un peu comme l'air chaud fait trembler les routes en été. Le tout fortement impressionniste et en même temps quasi hyper réaliste.

Je savais, dans mon rêve, que sous ce ciel, sans que je puisse les apercevoir, se dressaient, dans une architecture parfaitement classique, des dizaines de colonnes rigoureusement alignées dessinant un immense péristyle. Je ne connaissais rien de tel dans la réalité.

Quelques années plus tard, sans doute, nous nous rendîmes, Pierre et moi, à Venise, pour y séjourner deux ou trois jours au milieu d'un plus long périple d'été. Comme l'état de nos finances ne nous permettait pas de folies, nous avions réservé une place de camping de l'autre côté du pont, à Mestre, et nous dormions sous la tente d'où, régulièrement, il fallait chasser moult grenouilles trop entreprenantes.

Un soir, à dessein, nous avons laissé partir le dernier vaporetto et avons commencé à errer dans la ville déserte et tranquille, débarrassée des nuisances de la journée, heureux d'accrocher parfois le regard ténébreux d'un italien noctambule. La nuit avançant, nous fûmes bientôt seuls à arpenter ruelles et piazette. Il faisait doux, avec un rien d'humidité bienvenue après la chaleur du jour. Alors que l'aube n'était plus très loin, nous reprîmes lentement l'itinéraire conduisant à l'embarcadère et c'est alors que j'eus la surprise de voir surgir, au détour d'une maison, la place San Marco que je ne croyais pas si proche.

Mais ce que je n'oublierai jamais, c'est mon émotion, en levant les yeux, de retrouver tel que dans mon rêve le tableau du ciel bleu sombre à l'atmosphère tremblotante, en longeant l'imposant péristyle que j'avais pressenti sans le voir de humer l'air marin provenant de la lagune qui imprégnait ma peau d'une fine pellicule d'embruns.

Cette impression de sortir de la réalité pour accéder directement au monde du rêve ou de la fiction, je ne l'ai connue qu'une seule autre fois: au musée national des Antiquités de Leyde, aux Pays-Bas, section égyptologie, devant la tombe du général Horemheb, pour moi tout droit sorti du roman de Mika Waltari, Sinouhé l'Egyptien.

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