samedi 26 janvier 2008

Mot froissé.

Hier, une troupe de théâtre lyonnaise est venue chez nous pour deux heures de représentation et d'animation destinées aux 6°.

Le spectacle, mi conte, mi comédie musicale, raconte l'histoire d'une petite ville sans gros budget dont le pont sur la rivière menace de s'écrouler. Or il est le seul chemin d'accès à cette bourgade. Déjà les touristes se méfient et ne traversent plus. Le maire et l'institutrice se lamentent: où trouver les fonds nécessaires aux travaux?

C'est alors qu'apparaît le Magicien, tout de blanc vêtu, qui propose de fournir immédiatement un pont tout neuf à une seule condition: le maire, l'institutrice, la cafetière, la mercière et tous les habitants du village devront lui donner leurs mots. Seuls leur resteront quelques traces de lexique, comme saucisson, pluie ou épine dorsale ...
Après des hésitations, on accepte, et le pont nouveau apparaît, de béton et d'acier, remplaçant celui qui datait de la Révolution française. Mais, mais... les mots sont partis: on ne se parlent plus que par borborygmes, par exclamations, par onomatopées. Le langage n'étant plus là, la pensée risque elle aussi de s'envoler bien vite.

Alors, grâce à l'aide de deux enfants, on réapprend à parler, on réinvente les vieux mots, on s'exerce à les prononcer, à les répéter, tout cela en cachette du magicien. Quand on se sent assez fort, on chasse ce voleur, qui emporte avec lui son pont flambant neuf. Le village se retrouve avec ses arches branlantes, mais les mots sont tous revenus: on refait des projets, en particulier celui de faire des économies pour... reconstruire le vieux pont. Et la fête commence, inondant la salle de petits papiers où sont écrits des mots. J'ai eu le bonheur de récupérer: Imagination (mais j'ai manqué de peu: Différence).

Les enfants ont beaucoup aimé le spectacle ( inutile de dire que moi aussi) et l'ont prouvé ensuite par le nombre de questions posées. Et ce fut l'apothéose lorsque quelques-uns d'entre eux eurent la joie de monter sur scène pour jouer un passage de l'histoire, conseillés dans leur jeu par les acteurs.

Le metteur en scène a un moment comparé le métier d'acteur et celui de professeur, montrant aux élèves tous les points communs de ces deux univers. C'est peu de le dire! Et c'est aussi ce que j'aime: faire rire, ou sourire. Au tout début de ma carrière, un collègue, très sérieux et pontifiant, m'avait un jour demandé quelle pédagogie je mettais en pratique dans mes cours? Sans réfléchir une seule seconde, et pensant lancer une boutade, je lui avais répondu: la pédagogie de la grimace. Or, sans le savoir, je disais vrai. Je m'en rends compte chaque jour depuis plus de trente ans. Et c'est bien ainsi: l'éducation est une chose sérieuse, la connaissance aussi, mais à l'âge de mes élèves, une heure de cours passée sans rire quelques minutes est une heure perdue. Après, on revient au travail. D'ailleurs l'a-t-on réllement quitté?

Alors que tout le monde était sorti de la salle, un de mes élèves, celui qui, de loin, a les plus de difficultés avec le français et avec l'école en général, est revenu et a demandé à un des acteurs s'il pouvait avoir un autre mot, parce que le sien avait été froissé. Nous nous sommes regardés, le metteur en scène et moi: c'était sans doute la plus belle fin à cette histoire.



2 commentaires:

Anonyme a dit…

Gustave Flaubert a écrit : "…la parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles."

Votre récit dément cette citation : une étoile m'a confié son émotion ...

"Les mots...dis-moi les mots..." suppliait Don Quichotte avant de mourir.
Rêver un impossible rêve...
Partir où personne ne part...
...
Pour atteindre l'inaccessible étoile.

Anonyme a dit…

j'ai beaucoup de tendresse pour l'élève au mot "froissé".