lundi 21 janvier 2008

Maux des mots

Je ne suis pas homme à enfourcher trop vite le cheval fringant de la baisse de niveau des élèves actuels. Trop souvent cette contre-vérité est énoncée par des gens sans lien aucun avec la pédagogie, l'enseignement ni même les enfants, qui jugent à l'aune de leur mélancolie, regrettant le bon vieux temps où la neige, elle aussi, atteignait des niveaux bien supérieurs.

Pourtant je suis inquiet sur un point: l'appauvrissement spectaculaire du vocabulaire connu et utilisé par les enfants que je côtoie dans mon travail. En écrivant, on se contente d'à peu près: le prof va bien comprendre, tout de même, et puis, c'est comme ça que je parle! La lecture est sans cesse gênée par la non connaissance de certains mots qu'en plus on lit mal, puisqu'on ne les connaît pas. Mais on ne s'arrête pas pour autant. A la fin du texte, je constate deux ou trois contresens, erreurs sérieuses qui parfois changent totalement la signification du message.

Bien sûr, on ne peut lire constamment avec un dictionnaire à côté de soi. Comment faire aimer la lecture à un élève rétif si on commence par le charger d'un ouvrage de plusieurs kilos dont il sait à peine se servir. Il faut d'abord l'appâter, parler avec lui, le laisser lire comme il veut, même mal, quand il veut, où il veut, à plat ventre dans le salon, aux toilettes, perché sur la table de la cuisine, pourquoi pas. Qui a dit que la lecture nécessitait une position particulière? Le laisser lire n'importe quoi, même des horreurs, et peu à peu lui indiquer d'autres chemins.

Les élèves sont en général demandeurs et, lorsqu'ils sont intéressés, on peut aborder pratiquement n'importe quel auteur. Qu'on ne me dise pas qu'il faut se contenter de textes simples: les librairies regorgent de publications pour la jeunesse dont il faudrait jeter la moitié aux orties, parce que racoleuses, démagogiques et sans intérêt aucun. Je me retiens en ce moment pour ne pas donner de noms!

J'étudie chaque année un roman de Chrétien de Troyes,Yvain ou le Chevalier au lion, dans son intégralité. Et ça passionne les cinquièmes. Quand j'étais professeur en LEP, j'ai étudié avec des élèves de première année de CAP réputés "irrécupérables" le texte de l'Affiche Rouge. Et ils en redemandaient. Alors?

Il faut que les parents, les grands-parents, les professeurs, tous ceux qui approchent les enfants les initient à la beauté des mots, comme mon instituteur l'a fait avec moi, me faisant accéder au plus beau des trésors et sans doute au plus pérenne. Les élèves aiment les mots: il suffit de les leur faire découvrir. C'est les amputer d'une part immense d'eux-mêmes que de ne pas le faire. Et c'est au moins aussi important que de leur faire aimer les haricots verts et les carottes. L'alimentation est aujourd'hui à la mode. Souhaitons que la langue françaie ait un jour la même chance.
J'ajoute qu'à aucun moment, en écrivant tout cela, je ne me sens "réac.": je ne défends aucune Culture avec un grand C., aucun passage obligé du savoir bien-pensé. Je défends les mots et leur beauté parce que je les aime, dans leurs formes, leurs sonorités, leurs bizarreries, les vieux, les obsolètes, les nouveaux-nés, les inventés pour l'occasion. Je ne suis pas sectaire. J'aime jouer avec eux, j'aime aussi leur précision, leur goût en bouche, leur écho quand ils ne sont plus là. Et je voudrais que ce trésor de plaisirs soit accessible à tous ceux qui ont le "sens" pour les recevoir.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'aime aussi les mots. Foutriquet au lieu de C* ou mieux encore, Gourgandine à la place de pétasse. Si l'enfant a bien intégré "l'euphémisme et la "litote", il n'a plus qu'à chercher comment adoucir ses mots ou bien les rendre encore plus forts. On lui offre "succulent" à la place de "bof ça se mange", mortifère quand la musique est triste à en mourir, pingre à la place de radin, rédhibitoire s'il ne supporte plus son copain menteur, et tant d'autres mots encore qui, si nous les utilisons, feront partie de son paysage/écoute familier. En droit on utilise souvent "enfant du premier lit, deuxième lit, troisième lit etc ... etc ..."
et on m'a répondu une fois :"Mais non Madame, le petit dernier sur le canapé".

Anonyme a dit…

Analogie avec le film "L'esquive" de Abdellatif Kechiche.
Plus, un très bon livre de Cécile Ladjali : "Mauvaise langue" Edition du Seuil (un extrait dans le blog)

J'apprécie "le petit dernier sur le canapé" ! Autre façon de dire les choses...et pourquoi pas ! En espérant qu'il n'y soit pas toute la journée.