dimanche 20 janvier 2008

L'immeuble d'en face.

De l'autre côté de la rue, juste en face de chez moi, il y a un vieil immeuble du XIX° siècle, banal par son architecture mais fort intéressant par ses occupants.

Ainsi souvent peut-on me surprendre à la fenêtre, soulevant le rideau pour observer les us et coutumes de mes voisins d'en face. Est-ce là un comportement de voyeur? Je ne crois pas, n'ayant nulle pensée grivoise au fond de l'esprit: j'ai toujours aimé regarder vivre les gens dans leur intérieur, quand ils sont vraiment eux, et je ne me culpabilise pas de cette saine curiosité. Si je les regarde, c'est qu'ils m'intéressent; s'ils m'intéressent, c'est que je les aime.(Bien sûr, si, de surcroît, ils sont beaux, l'oeil peut s'attarder à rêver un instant de plus.)

Au premier étage gauche habite toute une famille d'indonésiens, petits et un peu ronds, qui ne sont pas toujours là et semblent constamment en train de déménager. A droite, un couple, turc probablement, avec un nourrisson. Tous deux sont gros et fort beaux par la finesse de leurs traits. Elle, plus enveloppée que lui, se met souvent à sa fenêtre, graisse des coudes calée contre la balustrade, pour fumer placidement une cigarette. Lui arpente fréquemment le trottoir du quartier, comme en attente de quelqu'un ou de quelque chose.

Le deuxième droit est resté longtemps vide après le départ de ses occupantes d'origine ou presque, deux vieilles demoiselles à qui, selon les dires de la pharmacienne, toujours bien informée et toujours bien disposée à communiquer ses informations, appartenait cet immeuble. C'étaient deux petites vieilles charmantes, l'une voûtée, presque cassée en deux, l'autre, sa soeur, droite comme un i, toutes deux arborant un chignon strict dont, jamais, je n'ai vu dépasser une seule mèche . Toujours selon la pharmacienne, elles concoctaient dans leur cuisine des tisanes, des remèdes de bonne femme, des mélanges de plantes qu'elles faisaient sécher et combien d'autres préparations mystérieuses. Bien que directement sorties, pour moi, du XIX° siècle de Balzac, elles possédaient une petite voiture blanche (ne me demandez pas la marque!) et c'était toujours un plaisir de les voir s'en aller dans leur véhicule, après avoir bloqué la rue pendant un bon quart d'heure avec leurs manoeuvres. Un jour, elles sont parties définitivement et l'immeuble, vendu, a peu à peu bénéficié des travaux auxquels il aurait dû avoir droit depuis de nombreuses années. Aujourd'hui, un jeune couple vient de s'installer chez les anciennes apothicaires. Je ne les ai pas encore suffisamment observés pour en dire quoi que ce soit.

Le deuxième gauche est occupé par des asiatiques, probablement des chinois, un couple d'une trentaine d'années qui ne cesse de m'intriguer: en effet, je les vois régulièrement, chaque soir, parcourir de long en large une pièce de leur appartement, très souvent la cuisine, mais ce peut être aussi le salon, l'un derrière l'autre, chacun les bras croisés, se suivant sans jamais se rencontrer, l'air méditatif et absorbé. S'agit-il là d'une invocation, d'une prière, d'un rite religieux oriental? Je n'en sais rien. Ce que je vois, c'est que cela dure longtemps et que jamais le rituel ne change.

Juste au-dessus, un autre couple asiate, des japonais ceux-là, un peu plus jeunes que les autres. Eux aussi, comme les turcs, sont très beaux. Avant de s'installer, ils ont passé plusieurs mois à restaurer les lieux. Non pas seulement d'un coup de peinture rafraîchissant, mais avec une minutie et, apparemment, une maniaquerie surprenantes. Je ne les ai jamais vus travailler autrement que masqués et revêtus d'une combinaison de cosmonaute, même par grosse chaleur.

Leur voisin de droite est sans doute le plus ancien occupant de l'immeuble, non par l'âge mais par la date d'arrivée. C'est sans aucun doute aussi le plus surprenant. Petit, noiraud, l'air toujours chafouin, il est probablement d'origine portugaise ou espagnole. Ce jeune homme d'une trentaine d'années n'est pas à proprement parler beau mais dégage une force sensuelle assez extraordinaire, à laquelle, dans les premiers temps de mon installation ici, je fus sensible. Je fus, car aujourd'hui je ne le suis plus. Jalousies toujours baissées, il se promène torse (au moins: je ne peux en voir plus, mes fenêtres étant légèrement plus bas que les siennes) nu été comme hiver, se met très rarement à la fenêtre et, lorsque par hasard il le fait et qu'il voit les miennes ouvertes, se précipite à l'intérieur comme si quelque guêpe l'avait piqué et se barricade à nouveau derrière fenêtres et volets. Pourquoi cette attitude? Je ne comprends pas, n'ayant jamais rien fait qui puisse le mettre mal à l'aise.

Le dernier étage est sans doute loué, ainsi que les chambres aménagées dans les combles, à des étudiants et, ceux-ci changeant chaque année, je n'ai jamais pris la peine de m'intéresser à eux.

J'aime cet immeuble. D'abord par la personnalité de ses anciennes propriétaires et surtout à cause de son cosmopolitisme, surprenant dans ce quartier. Je sais que si, un soir, supposition totalement irréaliste, je n'ai rien à lire, je pourrai m'installer face à ma fenêtre et regarder, de l'autre côté de la rue, comment va le monde.

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