vendredi 30 mai 2008

Ecrire

Ce soir, j'ai envie d'écrire. J'ai toujours envie d'écrire mais particulièrement ce soir.

Je m'installe à ce bureau et la journée tourne sur un autre axe. Je redoute que le téléphone ne sonne et ne me dérange. Je ne mets pratiquement plus de musique en accompagnement: je me suis rendu compte que je ne l'écoutais pas, ou mal, comme si je rentrais dans une bulle insonorisée dès que je commence à taper les premiers mots. Parfois, rarement, c'est la musique qui m'empêche d'écrire, quand j'entre dans l'autre bulle, celle de l'orchestre ou de la voix.

En créant ce blog, je savais qu'il répondait chez moi à un besoin, je ne savais pas en revanche que ce besoin était aussi profond et qu'il allait m'amener à écrire près de 500 billets en huit mois à peine. Je ne me doutais pas non plus qu'il allait déverrouiller d'anciennes peurs, me libérer dans mon écriture, aussi bien pour le style que pour la pudeur bête.

Ce soir, à la radio, un musicien évoquait son art et la façon de jouer de son instrument, le violoncelle je crois. Pour se faire comprendre, il a pris un exemple qui m'a remis en mémoire un souvenir d'enfance que je veux sauver du naufrage. N'est-ce pas aussi fait pour cela, un blog? Si ce souvenir tout bête avait disparu de la boutique de mon passé, relégué sans doute dans l'arrière-salle, une main de violoncelliste l'a ramené à la lumière et je veux qu'il y reste car je doute que les enfants d'aujourd'hui fassent couramment la même expérience.

Il avait disparu et pourtant c'était une sorte de jeu qui me plaisait beaucoup, chaque fois que mon père sacrifiait un poulet de chez nous au repas dominical. Bien sûr, je n'assistais pas à l'immolation du volatile (encore que cela ne m'ait jamais autant touché que le meurtre des agneaux ou des chevreaux).

Et quand il ne restait plus rien dans la cour de la ferme que quelques plumes et duvets échappés du torchon destiné à les récupérer avant qu'elles ne s'envolent, quand les instruments du supplice, ainsi que le bol où l'on avait recueilli le sang destiné à être fricassé à la poêle, avaient réintégré la cuisine, quand la bête, vidée et nettoyée, était prête à passer au four, alors j'aimais prendre dans mes mains une des pattes sectionnées, regarder ces sortes d'écailles qui la font ressembler à un dos de poisson sec, malaxer un instant cette chair molle, puis, saisissant un des nerfs qui dépassaient de la section, le tirer au maximum vers l'extérieur et regarder, ébahi, les serres du poulet se contracter et se relâcher selon mon unique volonté, comme obéit la marionnette au montreur derrière le castelet.

Ainsi la bête vivait-elle encore, grâce à moi, quelques instants. Etait-ce déjà une façon que j'avais trouvé pour éloigner la mort en prolongeant le mouvement? Et n'est-ce pas le même mouvement que celui des serres du poulet et celui des doigts tenant un stylo ou picorant les lettres du clavier? Ainsi écrire chasserait la Grande Faucheuse? Non, je crois plutôt que, tous, nous essayons de la séduire et que tous, nous avons l'illusion d'y parvenir comme l'enfant parvenait à imiter la vie en tirant sur le nerf de l'oiseau qui, déjà, rôtissait dans son jus.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Cette histoire est aussi croustillante que la peau de celui qui, s'étant doré à la rotissoire, finissait irrémédiablement dans votre assiette.
Le jeux avec les pattes de poulet on l'a aussi pratiqué dans ma fratrie.

Anonyme a dit…

La première phrase, une fraction de seconde, j'ai lu :
"Ce soir j'ai envie d'aimer..."

Mais écrire, c'est peut-être aimer, s'aimer...