mardi 18 mars 2008

De l'autre côté du miroir.

Connait-on vraiment son propre visage? On le regarde souvent, le matin dans la salle de bains pour se raser, se maquiller, effleurer un bouton, scruter une ride, mais le connait-on vraiment? Tous ces regards sont utilitaires et furtifs, comme celui lancé dans la rue sur le reflet d'une vitrine pour vérifier le noeud d'une cravate ou d'un foulard, l'arrangement d'une mèche, ou simplement parce que, ce jour-là, on se trouve beau.

Mais l'on ne voit alors que le détail et un vague ensemble, celui que l'on veut bien voir, celui que l'on a l'habitude de voir. En relisant à chaud un texte, on ne distingue pas ses fautes, en regardant par habitude son visage, on finit par ne plus voir mais imaginer. D'où la surprise des premiers cheveux blancs, qu'on dirait poussés pendant la nuit, l'effroi de la première ride, déjà bien implantée et que l'on n'avait pas remarquée.

On avait déposé son visage comme on dépose un brevet. Et un jour, avec une autre lumière, dans une circonstance inaccoutumée, parce que nous le voyons sans avoir voulu le regarder, nous découvrons non pas celui qui nous est familier mais celui que les autres ont réellement sous les yeux. C'est comme entendre sa propre voix enregistrée sur un magnétophone: on ne se reconnaît pas, mais nos amis nous confirment qu'il s'agit bien de nous.

Dans l'immense miroir de la grande salle, tout à l'heure, en attendant le kiné, assis face à mon image, je l'ai découverte par surprise. Je me regardais machinalement et, tout à coup, je me suis vu. En fixant longuement cette image,des détails se sont peu à peu révélés comme dans le bain du labo-photos, se superposant à ceux de toujours puis les remplaçant même. J'ai vu apparaître le visage d'un homme de cinquante-cinq ans, allongé, sec et creusé, à l'air fatigué sous les néons. J'ai compris pourquoi les élèves ont parfois peur de moi en début d'année: il est bien vrai que l'on n'a pas d'emblée envie de me taper sur l'épaule.

Mais, alors que l'on m'a toujours dit que je ressemblais à mon père (P1), ce qui est vrai, j'ai cet après-midi découvert des traits de mon autre père (P2), plus particulièrement dans l'expression du regard. Il est difficile de parler de soi. Je trouvais le regard de mon père à la fois triste et mélancolique, et marqué d'une profonde douceur, d'une vraie tendresse. J'ai cru voir cela dans le mien cet après-midi. J'ai retrouvé non pas mes yeux, mais les siens.

Lorsque le kiné est arrivé, j'ai repris mon apparence habituelle. Je suis rentré dans mon corps, comme le personnage d'un roman fantastique que je serai le seul à avoir lu.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

TEXTUS - En lisant ce texte, et les autres, je pense à la chanson de Mallarmé : "Comment tramer une histoire, tisser une intrigue, filer une métaphore, nouer et dénouer un drame ou broder des légendes ... Cent fois sur le métier vous remettez votre ouvrage dévidant pour notre coeur à nu "ce pli de sombre dentelle, qui retient l'infini, tissé par mille". J'ignore si votre visage est tendre, mais vos "mots sont entrelacés de silence, de sons" et de tendresse. (Anna).

Calyste a dit…

Etrangement, lorsque je lis "Anonyme", je mets votre nom sur ce mot. Cà me fait toujours sourire. Il faudrait dire Anna-onyme.
Merci pour vos mots qui me touchent