mercredi 26 mars 2008

A cause des arums


Ce soir, c'est une photo que j'ai dans la tête. Une vieille photo en noir et blanc.

A cause des arums. J'en ai acheté trois fleurs sur le marché dimanche. J'achète toujours des fleurs sur le marché le dimanche. Maintenant, les jacinthes sont passées, les renoncules et les jonquilles se terminent. Les roses, il y a longtemps que je les évite, comme les laitues dans les salades, et pour la même raison: plus rien de naturel, plus de tenue, du tape-à-l'oeil rapidement flétri. Que reste-t-il quand on n'aime pas les tulipes? Les anémones, mais on s'en lasse.

Alors dimanche, j'ai vu les arums, derrière le banc du fleuriste, même pas exposés à la vente. Il y en avait des plus petits, légèrement jaunes, et puis, les vrais, pour moi, les grands qui élèvent, tels des prêtres officiant, leurs calices blancs vers le ciel.

Cette fleur, autrement dénommée gouet (je viens de l'apprendre dans le dictionnaire), était très à la mode dans ma petite enfance, fin des années cinquante. Puis elle a disparu presque totalement des boutiques de fleuristes, pour réapparaître tout dernièrement. Étonnamment, moi qui n'aime pas les grandes fleurs, je ne trouve pas celle-ci prétentieuse. Peut-être à cause de cette photo.

Une photo pas très grande, au format de l'époque, avec les quatre bords crénelés, prise dans la chambre de mes parents. Sur un guéridon, près du lit, il y a une lampe, que je trouvais très belle et dont j'allais en cachette caresser l'abat-jour en satin crème ourlé au bas d'un renflement vert sombre qui lui donnait l'aspect d'une robe se déployant dans un pas de valse. Et près de la lampe, le bouquet d'arums, en harmonie avec elle.

Pour le reste, je ne sais plus. Il faudra que je recherche cette photo dans les cartons où mes parents les ont entassées. Je vois deux scènes différentes et ne sais plus laquelle est la "scène aux arums". Dans l'une, on voit mon père couché dans le lit conjugal, la tête appuyée sur le bras droit, les muscles saillants sous son maillot de corps et regardant en souriant l'objectif. A côté de lui, un petit lit d'enfant, où dort un bébé, mon frère ou ma soeur.

Dans l'autre, c'est ma mère qui est assise dans le lit, le dos appuyé à des oreillers. Elle a l'air de porter un déshabillé léger et nous serre contre elle, ma soeur encore bébé dans le bras gauche et moi, déjà plus grand (six ans?) plaqué du côté droit. Peut-être d'ailleurs les deux photos ont-elles été prises le même soir et présentent-elles toutes deux le même bouquet d'arums.

Chaque fois que je les regarde, je ressens la douceur qui s'en émane, temps de paix avant l'endormissement, joie de la journée qui se finit dans un moment de tendresse, et aussi la sensation d'infini mystère qu'a toujours revêtu pour moi la chambre de mes parents, sorte de naos domestique où je n'entrais, quand c'était permis, qu'avec une grande dévotion et une sorte de crainte quasi sacrée. Je ne sais pas si les enfants d'aujourd'hui, pour qui l'on a, et c'est très bien, aboli de nombreuses barrières, n'y ont pas, tout de même, perdu quelque chose au change.

Tout ça à cause de trois arums! (Mais j'en connais qui, musicalement, ont fait plus long avec trois oranges!)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est curieux ce ressentiment à propos de la chambre des parents. Je ressentais aussi quelque chose de cet ordre dans celle de ma mère, ou de mes grands-parents.

Calyste a dit…

Merci de votre commentaire. Je suis en train de lire votre blog depuis l'origine et progresse peu à peu. Ce que j'y vois me plaît. Je suis pour l'instant silencieux, ce qui ne veut pas du tout dire indifférent, non, mais au contraire curieux de vous connaître mieux.