mercredi 19 mars 2008

Une évidence.

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Il attendait sur le trottoir, dans le vent glacial de cet après-midi, à l'arrêt d'une ligne de bus. J'étais dans ma voiture, patientant, avant que le feu passe au vert, pour rejoindre Gilles à Miribel et faire avec lui le tour du lac en courant. Je pensais aux bienfaits physiques que cet exercice nous apporte quand je l'ai vu, ce petit homme, ce gnome.

Presque nain, une tête grosse, aux traits épais, sans cou, directement posée sur des épaules qu'on aurait dit rehaussées, des bras courts le long d'un corps sans taille, d'un seul bloc, une souche épaisse d'arbre sectionné, des jambes brèves mais puissantes, et de grands pieds qui dépassaient de pantalons trop courts. Son imperméable à demi ouvert battait au vent et le froid le faisait grimacer.

J'ai d'abord pensé au bus, qui se faisait attendre et qui obligeait cet homme à rester dans les bourrasques. Pourtant il y avait un abri, où d'autres voyageurs s'étaient réfugiés. Lui était à l'extérieur, seul, isolé. Et c'est en constatant sa solitude que j'ai vu sa monstruosité. Etait-ce seulement le vent qui le faisait grimacer?

Ma première question fut de me demander à quoi un être aussi peu favorisé pouvait raccrocher sa vie: avait-il un jour connu l'amour, le lien physique, le plaisir charnel? Etait-il entouré d'une famille? Je ne pouvais imaginer un petit garçon sautant sur ses genoux ou une fillette l'embrassant tendrement dans le cou. Où se situait-il dans l'échelle sociale, dans quel cadre travaillait-il, d'ailleurs travaillait-il? Que faisait-il là, en début d'après-midi, à tenter de faire face aux rafales? Quelle passion, quel feu, quelle espérance le maintenaient debout? L'argent? Le meurtre? Le mal? La goinfrerie? Quand le vert s'est affiché, j'en étais à m'estimer très heureux de ne pas être ce pauvre homme.

A un autre moment de la journée, j'ai prêté l'oreille un instant à la radio, pour entendre que les mots "foi" et "confiance" avaient la même origine. Bien sûr, je connais le latin "fides", qui peut effectivement se traduire de ces deux manières mais je comprenais toujours "foi" au sens que ce mot a dans l'expression "avoir foi en quelqu'un", avoir confiance donc. Aujourd'hui, l'acceptation religieuse du terme s'est immédiatement imposée.

Tout de suite, étrangement, un rideau est tombé, une question profonde venait de trouver sa réponse, sans que je sache consciemment ce qu'était cette question et ce qu'a été cette réponse. Je crois que cela se situe dans la lignée du "lâcher prise" découvert récemment.

Ce soir, encore à la radio, on commentait sans doute un texte de la Bible (je n'ai pas entendu le début de l'émission) et l'on comparait le Christ à un lépreux, isolé, rejeté de tous parce que porteur des turpitudes et des maux du monde, rejeté alors que ces maux, il les endossait au nom de tous, en victime consentante.

Quand je suis descendu de voiture, tout à l'heure, après la visite à ma mère, le lien entre ces trois éléments de ma journée, un pauvre bougre contrefait dans le froid, une histoire d'étymologie et un commentaire de la Bible sur le sacrifice accepté, m'est apparu évident. Pour la deuxième fois de la journée, une lumière intérieure a changé d'intensité. Mais l'évidence ne peut s'expliquer. Ex-videre, c'est voir au dehors, au dehors de ce qu'il est habituel de voir, donc, paradoxalement, voir uniquement en dedans.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce sont souvent les inconnus, qui nous racontent les plus belles histoires :)
Faire un voyage en train, par exemple, c'est toujours l'occasion de se créer des contes :)

Calyste a dit…

C'est vrai. Un visage à lui seul parfois...