vendredi 7 mars 2008

Laisse-toi dire.

Ma grand-mère aussi aimait les mots.

Je parle de ma grand-mère paternelle, pas de celle qui m'a élevé et qui est morte quand j'avais à peine huit ans. De cette dernière, je conserve beaucoup de souvenirs: une femme droite, un visage très sec et janséniste, une honnêteté à toute épreuve, une foi indéracinable, des anecdotes directes ou retracées par ma mère, mais rien sur sa parole.

Ma grand-mère paternelle, au contraire, était une personne ronde, plutôt grasse, et qui se permettait des tas de petits arrangements avec la vie. Veuve très tôt, elle prit des amants (à nous, les enfants, on disait de les appeler "tontons"), voyagea un peu (en France, bien sûr), s'acheta un appartement et se fit plaisir chaque fois qu'elle en eut l'occasion. Pour l'époque, une vieille dame indigne!

Moi, je les aimais toutes les deux, mais j'ai eu davantage le loisir de communiquer avec l'épicurienne, puisqu'elle est morte alors que j'étais déjà adulte. Elle m'a confié des souvenirs, des épisodes de sa vie que je suis le seul, j'en suis sûr, à connaître. Même mon père, son fils, n'en a jamais entendu parler.

Cette femme aimait communiquer, rire, raconter ses histoires. Lorsqu'elle fut plus âgée et qu'au cours d'une de ses narrations, nous l'interrompions pour lui poser une question, craignant de perdre le fil, elle répliquait invariablement par cette phrase : "Laisse-toi dire!". Non pas "Laisse-moi dire", qui serait plus classique, mais "Laisse-toi dire". Je la laissais dire mais lui reprochais "in peto" cette faute de grammaire. Or j'ai compris plus tard que ce n'en était pas une: "Laisse-toi dire", c'est "Laisse-toi raconter.", "Accepte ma parole comme un cadeau", "Recueille avant que je ne disparaisse". C'est une très belle expression du don.

Elle ne m'écrivait jamais, prétextant, pour ne pas m'envoyer de cartes postales, que j'étais trop instruit pour elle et que je ne manquerais pas de repérer ses fautes d'orthographe. Elle n'a jamais voulu comprendre que, même si je voyais ces fautes, ce que je retenais, c'était l'amour contenu dans les phrases maladroites de son message.

A l'oral, cette pudeur disparaissait. Sans le vouloir, elle créait des mots, et nous riions beaucoup de ses trouvailles. Ainsi, à partir du son d'un mot, elle en fabriquait un autre, proche mais saugrenu. Par exemple, elle eut des ennuis avec sa télévision et le réparateur lui aurait dit que cela venait du tube "catholique". Ou bien, elle me raconta un jour son voyage en Savoie avec escale au col des "Avaries". Enfin, sachant que j'aimais les plantes et les fleurs, elle m'évoqua une variété qu'elle avait vue chez une amie et que, selon elle, je possédais aussi. Elle finit par en trouver le nom: il s'agissait du "Rémi Brandon", que je mis quelques minutes à retranscrire en rhododendron.

Lorsque, avec la bêtise de ma jeunesse, je lui faisais remarquer l'erreur, elle pouffait d'un petit rire flûté de gamine qui surprenait toujours sortant d'une si imposante poitrine. Elle riait et disait: "Ce que je suis bête!", mais, à voir la malice qui débordait de son regard, je savais bien qu'elle n'en croyait pas un mot. Et elle avait raison.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est de la que vient le "pôte au mac"?

F-J

Anonyme a dit…

Après tous ces Pierre/pères (génétiques/cléricaux) emmélés, le "pôte au mac" me sied, on respire enfin, et on rigole itou, enfin légers?

Passe-Partout

Anonyme a dit…

J'ai demandé du "pote au mac" à le boucherie en bas d'la rue, et y-z-ont pas su me dire...

Que dois-je faire?

Alexandra Minconi

Anonyme a dit…

Deux notes de musique pour composer un prénom, c'est un privilège que de le porter ...
(anna)