Le temps des jonquilles. On en voit partout: dans les pelouses de la Tête d'Or, dans les plates-bandes le long des rues, même tout près de l'entrée du tunnel de Fourvière. Cette année est ressurgi à ma conscience un vieux souvenir lié à ces fleurs que j'aime: un séjour à Remoncourt.
Remoncourt est un petit village des Vosges, près de Vittel, un village perdu au milieu de la campagne et des collines. Paysage serein et reposant. J'y avais rejoint un ami parisien dont la famille possédait une villa que chacun utilisait selon ses vacances. C'était l'époque où j'étais très malheureux avec Pierre, où je pensais que notre tandem ne tiendrait pas longtemps. Voyant mon mal être, Yves, cet ami psychiatre parisien, m'y avait invité pour une semaine.
D'abord, je restai sur mes gardes: j'étais jeune et craignais de paraître ridicule à ses yeux. Il était, au premier abord, de ces parisiens un peu snobs qui vous distillent dans tous leurs mots une certaine dose de supériorité intellectuelle due au simple fait d'habiter la capitale. Je voulais éviter l'impair, bien décidé à lui prouver qu'en "province" aussi on avait un cerveau.
Le premier jour, alors que nous prenions le soleil derrière la villa, allongés dans l'herbe, il me proposa d'en fumer justement et sortit d'un placard de la cuisine un sac plastique bourré d'une sorte de tisane déshydratée qu'il me dit être du cannabis. Je n'en avais jamais vu. Le sac était si gros que je pensai aussitôt qu'il se payait ma tête et décidai de sourire finement, arborant un visage qui voulait aussi bien dire qu'on ne me la faisait pas que passer pour la moue d'un habitué.
Pourtant, je fus honnête et, à sa question, je répondis que je n'avais jamais essayé de produits illicites. Curieux comme je suis, j'acceptai sa proposition d'essayer ce jour-là. Il me prépara un joint et s'en roula un aussi. J'eus beau tirer dessus tant que je pus, rien ne se passa: alors que je le voyais, lui, peu à peu, réagir autrement, je ne me sentais en rien différent de l'instant précédent. Cela devint même franchement gênant pour moi quand, dans la petite supérette où nous fîmes ensuite nos courses, il se mit à sautiller, virevolter devant les autres clients ébahis alors que je ne savais plus où cacher ma honte. J'avais bien, moi, toujours les deux pieds sur terre.
Le deuxième jour, il me proposa un autre essai et j'acceptai après qu'il m'eut assuré que la veille, il n'avait pas joué la comédie du mec "parti". Rien encore cet après-midi là. Mais le lendemain, parce que j'étais profondément mortifié de ne pas avoir connu mon "orgasme" canabissien, c'est moi qui réclamai. Je me souviens parfaitement de la scène: c'était en fin de journée. Nous étions dans la cuisine en train de nous occuper de la vaisselle: lui la lavait, moi, je l'essuyais. Tout à coup, il fallut que je me retienne au buffet, que je me cramponne aux poignées des tiroirs pour garder un semblant d'équilibre. J'avais l'impression que le plancher flottait, qu'il tanguait agréablement et que mon corps ballotté était d'une légèreté extrême. J'eus le temps de lui dire:"je crois que ça vient!" avant d'éclater de rire.
Lui aussi, comme d'habitude, était fort réactif et, bien vite, nous abandonnâmes le reste de vaisselle pour nous allonger sur les canapés du salon. Il mit de la musique, je n'ai jamais su ce que c'était mais je trouvais ce morceau magnifique, aérien. On aurait dit que les notes me transperçaient, qu'elles me traversaient la tête comme un nuage d'une douceur de coton. Je me sentais alors capable de braver n'importe quoi, d'affronter n'importe qui mais ce qui me semblait le plus urgent, le plus naturel, le plus nécessaire, c'était de faire l'amour.
Apparemment, Yves devait naviguer dans les mêmes eaux, car nous nous retrouvâmes très vite dans son lit à ne plus savoir le sud du nord, à confondre l'est et l'ouest. Et toujours cette musique si porteuse, si pénétrante. Peu à peu, cependant, l'effet s'amenuisa et je découvris que mes ébats avec Yves ne figureraient pas dans le top10 de mes parties de jambes en l'air. Ce fut le premier et unique rapprochement de nos corps. En langage clair, jamais plus nous ne baisâmes ensemble. Quant à cette musique divine, je la réentendis à la radio quelques mois plus tard à Lyon. Nouvelle déception: ce n'était rien qu'un air banal, voire inintéressant.
J'eus une autre fois l'occasion de retoucher à la drogue, cette fois-ci avec du hachisch en barrette. Le trip ne fut pas agréable et me détourna immédiatement de ces aides à décoller. Enfin, une autre expérience extrêmement pénible, et involontaire de ma part, finit par me convaincre que je n'aimais pas ça. Je n'ai toujours pas changé d'avis.
Mais j'en vois qui se disent: bon, d'accord, mais quel rapport avec les jonquilles?
Eh bien, malgré cette expérience peu concluante, je garde encore aujourd'hui un excellent souvenir de cette semaine dans les Vosges: d'abord Yves avait vu mon désarroi et m'avait aidé à un moment où j'en avais besoin. Ensuite cela me permit sans doute de réévaluer la situation avec Pierre (à lui aussi d'ailleurs) et de reconstruire au lieu de donner un coup de pied à la fourmilière. Enfin, je voudrais un jour refaire ce voyage, repasser le col, revoir Gérardmer et les champs de jonquilles et de narcisses qui, dans mon souvenir, bordaient les routes à ce moment-là.
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6 commentaires:
Pareil que toi, une fois et rien ...
Ben faut pas fumer les jonquilles ! :)
Mais c'était du bon, disaient les autres ! Mais sur moi, rien, je crois que l'alcool c'est mieux.
Pour s'envoyer en l'air, moi ne connait qu'un moyen:
un gros.........................
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ou même mieux un petit.......
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n'avion ;-)
"Je voulais éviter l'imper" : Yves, en bon parisien, devait préférer trench coat ! ;-)
Si tu n'étais pas là, Patrick... Merci.
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