vendredi 26 août 2011

Pages marquantes (6)

C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar.

Les soldats qu'il avait commandés en Sicile se donnaient un grand festin pour célébrer le jour anniversaire de la bataille d'Eryx, et comme le maître était absent et qu'ils se trouvaient nombreux, ils mangeaient et ils buvaient en pleine liberté.

Les capitaines, portant des cothurnes de bronze, s'étaient placés dans le chemin du milieu, sous un voile de pourpre à franges d'or, qui s'étendait depuis le mur des écuries jusqu'à la première terrasse du palais ; le commun des soldats était répandu sous les arbres, où l'on distinguait quantité de bâtiments à toit plat, pressoirs, celliers, magasins, boulangeries et arsenaux, avec une cour pour les éléphants, des fosses pour les bêtes féroces, une prison pour les esclaves.

Des figuiers entouraient les cuisines ; un bois de sycomores se prolongeait jusqu'à des masses de verdure, où des grenades resplendissaient parmi les touffes blanches des cotonniers ; des vignes, chargées de grappes, montaient dans le branchage des pins ; un champ de roses s'épanouissait sous des platanes ; de place en place sur des gazons se balançaient des lis ; un sable noir, mêlé à de la poudre de corail, parsemait les sentiers, et, au milieu, l'avenue des cyprès faisait d'un bout à l'autre comme un double colonnade d'obélisques verts.

Le palais, bâti en marbre numidique tacheté de jaune, superposait tout au fond, sur de larges assises, ses quatre étages en terrasses. Avec son grand escalier droit en bois d'ébène, portant aux angles de chaque marche la proue d'une galère vaincue, avec ses portes rouges écartelées d'une croix noire, ses grillages d'airain qui le défendaient en bas des scorpions, et ses treillis de baguettes dorées qui bouchaient en haut ses ouvertures, il semblait aux soldats, dans son opulence farouche, aussi solennel et impénétrable que le visage d'Hamilcar.


Gustave Flaubert, Salammbô.

8 commentaires:

Jérôme a dit…

J'ai toujours trouvé que cette introduction avait un côté "cinématographique"

Calyste a dit…

Moi, elle m'évoque des parfums capiteux et variés...

P. P. Lemoqeur a dit…

Décidément, les grands esprits....

http://pplemoqueur.blogspot.com/2009/04/les-premiers-mots-dun-roman.html

Calyste a dit…

P.P: eh oui! Aux grands auteurs les grands esprits!

P. P. Lemoqeur a dit…

moi ce qui m'a toujours étonné, ce sont ses premiers mots :
«Morts ! tous morts ! vous ne viendrez plus... etc."

Calyste a dit…

P.P: "...obéissant à ma voix, quand, assise sur le bord du lac, je vous jetais dans la gueule des pépins de pastèques ! Le mystère de Tanit roulait au fond de vos yeux, plus limpides que les globules des fleuves. "

P. P. Lemoqeur a dit…

Ben oui,on va pas tout déballer mais c'est quand même violent, " Morts, tous morts" pour quelques premiers mots, non ?

D'ailleurs, Salambô est plus un hymne à la mort qu'à l'amour. Mais ça c'est Flaubert... Chez lui, la mort partout, du perroquet d'Un coeur simple" à cette pauvre Emma, la mort partout tout le temps... C'est d'ailleurs pour ça qu'au bout d'un moment, Flaubert je dis : Pouce !

Calyste a dit…

P.P: oui, peut-être un peu moins dans son Voyage en Egypte et dans Bouvard et Pécuchet. Et puis il y a la sensualité de l'écriture qui tire les œuvres vers le vivant.