dimanche 14 février 2010

Scènes de rames

Dans la rame du métro. Une vieille folle parlait à tous et à personne. Pas de délire, non, un discours construit et logique mais à sens unique.

A une jeune fille qui lui cédait sa place, elle a commencé par dire qu'elle ne voulait pas, que ce n'était pas la peine pour deux stations, qu'elle venait de sortir du lit et qu'elle pouvait fort bien rester debout. Une fois assise, elle ne s'est pas pour autant arrêter de parler. Elle passait d'un sujet à l'autre, de fil en aiguille, avec une voix monocorde, une voix de femme qui a l'habitude de se plaindre et que l'on a l'habitude de ne pas écouter. Visiblement d'ailleurs, elle dissertait dans le vide: les autres voyageurs, dont l'attention avait au début été détournée sur elle, s'en sont vite désintéressés avant de replonger dans leurs rêves moroses.

Moi pourtant, je l'écoutais, en regardant ailleurs pour éviter d'être pris à témoin. Bien sûr, aujourd'hui, seuls les hommes et les jeunes sont assis. De son temps, les hommes cédaient leurs places aux femmes. Son père n'y manquait pas, même au profit de très jeunes filles. C'était ça, l'éducation. Aujourd'hui, l'éducation, tout le monde s'en fout. Elle s'est mise à évoquer sa fille qui, toute petite déjà, à treize ou quatorze ans, se levait d'elle-même, sans qu'il soit besoin de le lui rappeler. Ah! Tout avait bien changé. C'était ça, la vie en ville. Elle avait des cousins à la campagne, qu'elle enviait. Elle leur disait souvent combien ils étaient heureux sans le savoir, à avoir été bien éduqués, à manger bon. La ville, sa ville, elle ne la reconnaissait plus. Autrefois, on s'y promenait à pied, à bicyclette. Maintenant, tout le monde était pressé. Les voitures, les voitures. Et pourtant, tous des fainéants, à vouloir de l'argent sans rien faire pour le gagner. Il n'y avait plus que çà qui comptait aujourd'hui: l'argent;, toujours plus d'argent. Mais surtout sans travailler. D'ailleurs, tout ce monde! On était beaucoup trop nombreux sur terre...

Un flot de paroles pas agressives, acides seulement, terriblement acides et à jamais acides: le monde pour elle ne pouvait connaître de rédemption. Trois stations et les couloirs de la station Bellecour où, dans la foule, je l'entendais encore raisonner à l'infini. Ensuite? Ensuite, l'anonymat stérile retrouvé dans le bus, avec un chauffeur pressé d'arriver à destination, totalement indifférent à la façon dont les voyageurs pouvaient encore tenir debout dans les virages de Choulans qu'il prenait beaucoup trop vite. Retour à l'état de viande transportable et transportée. Qu'est-ce qui est mieux?

Autre petite scène: un papa debout dans la rame, lisant un des gratuits distribués à l'entrée de la station. A l'étage en dessous, contre lui, son fils de sept/huit ans tenant le même gratuit ouvert à une autre page. "Papa, c'est quoi, une maison d'arrêt?" Un qui fait attention aux mots! J'ai souri, intérieurement bien sûr. Sinon, sourire dans le métro, le matin de bonne heure! On m'aurait pris pour un fou!

2 commentaires:

kranzler a dit…

Un jour en bus, je me suis levé pour céder ma place à une grand-mère. Une ado s'est précipitée pour y poser ses fesses. J'ai été dans l'obligation de lui expliquer, à la petite, qu'elle allait devoir attendre entre une cinquante d'années pour avoir droit au mEme genre d'égards.

Calyste a dit…

Au train où vont les choses, pas sûr qu'on les lui accorde, ces égards, dans 50 ans!