samedi 27 février 2010

De quelques villes du sud.

Que croyez-vous qu'il fit pendant ce long silence?
Des rivages de Saône il alla en Provence
Là où de bons amis l'ont toujours bien reçu.
Je puis vous le confier en deux mots: il vécut.

Au point d'en oublier ce blog? Oui, et sans beaucoup de peine. Pas même de notes prises au cours du voyage pour les retranscrire ensuite. J'avais besoin de m'éloigner de Lyon et de changer d'air. Voilà qui est fait. Ce rapide séjour chez Jean-marc et Gilles en compagnie de Frédéric m'a fait le plus grand bien.

Un aller un peu laborieux par l'ancienne RN86 que j'aime tant d'habitude mais qui ne montra cette fois que de mauvais visages: une végétation encore trop endormie, aucune fleur, aucun bourgeon, et des travaux tout au long, rendus infaisables plus tôt par les rigueurs climatiques de cet hiver. Il a fallu quatre heures pour arriver à Pont-Saint-Esprit où nous avions rendez-vous avec Jean-Marc et où le repas rapide au Rosalbin fut aussi apprécié que l'an dernier.

Après-midi consacré à une promenade dans les rues de cette ville. J-M nous avait appris qu'il s'agit de la municipalité la plus endettée de France. Le maire y a même été démis de ses fonctions et c'est le préfet qui y gère les affaires courantes. Une ville triste sous le ciel gris de ce jour, une ville qui possède des merveilles architecturales et ne les entretient guère ou n'hésite pas à les flanquer de constructions hideuses en béton. Deux anecdotes de cette promenade: un maghrébin qui m'interpelle parce que je photographie un bel immeuble à côté d'une entrée de mosquée. Il prétend jouer son rôle de citoyen! J'étais tellement soufflé que la colère n'est montée que peu à peu, après. Il devient décidément dangereux de se servir de son appareil-photos! Un peu plus tard, trois gamins de dix ans à vélo qui m'insultent ("M'sieur, tu pues la merde!"), comme ça, gratuitement, dans la rue. Sans doute suite à un pari entre eux. Là aussi, il faut se pincer pour être sûr de ne pas rêver. Mention très bien cependant pour le Musée d'art sacré du Gard (ou Maison des chevaliers, autre nom du lieu), où nous sommes arrivés un quart d'heure avant la fermeture et où, au lieu de se faire éjecter comme cela aurait certainement été le cas à Lyon, nous avons eu droit à une visite guidée rapide mais efficace par un responsable du musée dont on ne put dire ce qui l'emportait, de l'intérêt de ses paroles ou de l'attrait de sa silhouette!

Le lendemain fut consacré à Uzès et Nîmes. J'aime retourner dans le 1er duché de France, même si un peu de nostalgie s'attache à chacune de mes visites. J'y ai passé de si belles soirées d'été sous les étoiles de la promenade Racine ou dans la cour de l'Évêché, à écouter un concert de musique classique ou celui, gratuit, des cigales amoureuses. Ce n'est pas sans un petit pincement que je revois la maison étroite (une pièce par étage) du Portalet où a vécu mon ami Paul. Quand nous sommes arrivés avec Frédéric, c'était jour de marché et la Place aux Herbes était encombrée d'étals au couleurs du midi: fleurs, agrumes, ail, miel, charcuterie, jusqu'à des huîtres de Bouzigues. La librairie Le Parefeuille, en revanche, était fermée, pour de courtes vacances. C'est là que la pluie est venue nous cueillir: de crachin réfrigérant, elle s'est bien vite transformée en orage antédiluvien qui nous transperça jusqu'aux os. Les rues en pente se transformèrent rapidement en véritables torrents et nous n'avions plus un poil de sec lorsque nous arrivâmes à la voiture. Je prédis en riant que nous aurions le soleil pour l'après-midi et, malgré les apparences contraires du matin, c'est bien ce qui arriva.

Jean-Marc se joignit à nous pour un repas pantagruélique dans un restaurant en bordure de route (le 86 à Saint-Gervasy, à recommander absolument) et pour la déambulation dans Nîmes. J'aime cette ville, beaucoup plus qu'Avignon dont je trouve la réputation surfaite. Nîmes me semble plus vivante et plus intéressante, moins axée sur une seule préoccupation comme l'est la Cité des papes avec son festival d'été. Soleil donc pour retrouver les jardins de la Fontaine et les rues avoisinantes dont j'avais oublié qu'elles étaient toutes dédiées à des romains "augustes", la Maison Carrée encore emmitouflée de toiles blanches et striée d'échafaudages (heureusement du côté opposé à celui de l'an dernier), le Carré d'Arts, la Cathédrale et les crocodiles suspendus dans le grand escalier de l'Hôtel de Ville.

Par hasard, j'ai retrouvé tout à l'heure dans les rayons de ma bibliothèque un petit livre, acheté je ne sais où, recensant et publiant les 24 Lettres écrites par Jean Racine lors de son séjour chez son oncle à Uzès. Voici quelques extraits des premières, où il parle de son voyage depuis Paris et des villes que j'ai évoquées précédemment.

Nous fûmes deux jours sur le Rhône, et nous couchâmes à Vienne et à Valence. J'avais commencé dès Lyon à ne plus guère entendre le langage du pays, et à n'être plus intelligible moi-même. Ce malheur s'accrut à Valence, et Dieu voulut qu'ayant demandé à une servante un pot de chambre, elle mit un réchaud sous mon lit. Vous pouvez imaginer les suites de cette maudite aventure, et ce qui peut arriver à un homme endormi qui se sert d'un réchaud dans ses nécessités de nuit.(...) Néanmoins je commence à m'apercevoir que c'est un langage mêlé d'espagnol et d'italien; et comme j'entends assez bien ces deux langues, j'y ai quelquefois recours pour entendre les autres, et pour me faire entendre.(...)
Au reste, pour la situation d'Uzès , vous saurez qu'elle est sur une montagne fort haute, et cette montagne n'est qu'un rocher continuel: si bien qu'en quelque temps qu'il fasse, on peut aller à pied sec tout autour de la ville. Les campagnes qui l'environnent sont toutes couvertes d'oliviers , qui portent les plus belles olives du monde, mais bien trompeuses pourtant; car j'y ai été attrapé moi-même. Je voulus en cueillir quelques-unes au premier olivier que je rencontrai, et je les mis dans ma bouche avec le plus grand appétit qu'on puisse avoir; mais Dieu me préserve de sentir jamais une amertume pareille à celle que je sentis. J'en eus la bouche toute perdue plus de quatre heures durant, et on m'a appris depuis qu'il fallait bien des lessives et des cérémonies pour rendre les olives douces comme on les mange.(...) Si le pays de soi avait un peu plus de délicatesse, et que les rochers y fussent un peu moins fréquents, on le prendrait pour un vrai pays de Cythère. Toutes les femmes y sont éclatantes, et s'y ajustent d'une façon qui leur est la plus naturelle du monde.(...) Mais c'est la première chose dont on m'a dit de me donner de garde, je ne veux en parler davantage (...). On m'a dit: "Soyez aveugle." Si je ne le puis être tout à fait, il faut du moins que je sois muet.
(A La Fontaine, A Uzès, ce 11 novembre 1661)
Nîmes est à trois lieues d'ici, c'est-à-dire à sept ou huit bonnes lieues de France. Le chemin est plus diabolique mille fois que celui des diables à Nevers, et la rue d'Enfer, et tels autres chemins réprouvés; mais la ville est assurément aussi belle et aussi polide, comme on dit ici, qu'il y en ait dans le royaume. Il n'y a point de divertissements qui ne s'y trouvent:
Suoni, canti, vestir, giuochi, vivande
Quanto puo cor pensar, puo chieder bocca.
( De la musique, des chants, des toilettes, des jeux, des festins
Autant que l'esprit peut en imaginer et la bouche en demander. - L'Arioste)
(...) Mais j'y trouvai encore d'autres choses qui me plurent fort, surtout les Arènes. Vous en avez sans doute ouï parler. C'est un grand amphithéâtre, un peu en ovale, tout bâti de prodigieuses pierres, longues de deux toises, qui se tiennent là, depuis plus de seize cents ans, sans mortier et par leur seule pesanteur. Il est tout ouvert en dehors par de grandes arcades, et en dedans ce ne sont tout autour que de grands sièges de pierre, où tout le peuple s'asseyait pour voir les combats des bêtes et des gladiateurs.
(A Monsieur l'Abbé Le Vasseur, A Uzès, ce 24 novembre 1661)

Jean Racine, Ecrit d'Uzès, Préface de Rose Vincent, A la croisée)

Rien à changer à ces mots de Racine, à part peut-être pour ce qui touche au "pied sec"!

6 commentaires:

Olivier Autissier a dit…

Même sous le soleil, je trouve que Pont Saint Esprit est triste, vide, désert. Vraiment je n'aime pas.
En revanche, revanche sur quoi ?, Uzès. Quand je serai vieux et riche, j'aimerais bien y avoir quelque chose. Vraiment, j'aime. Et puis, c'est quasiment chez moi.
Et cependant, pas tout à fait encore la Provence.

KarregWenn a dit…

Remis à neuf donc ? Garez-vous les 5ème, Prof Calyste pête le feu !
Rien ne vaut, je crois, une escapade, même courte, pour retrouver des gens qu'on aime. Si en plus le lieu est beau...

Cornus a dit…

Je ne connais pas ces lieux, mais j'y pense pour y aller quand on pourra, même si ça reste loin.
Ce que raconte Racine m'a plu et met bien en perspective des choses auxquelles on ne pense plus.
Nous sommes plusieurs à être impatients de voir des fleurs

karagar a dit…

comme quoi on peut être racine et s'y connaîte peu en fruits ! :)

Lancelot a dit…

Pas de notes à retranscrire, uniquement quelques notes de musique, celles de cigales amoureuses... J'aime.

Et je te souhaite un bon demain...

Bises affectueuses

Calyste a dit…

Tu m'inviteras, Olivier, quand tu seras vieux et riche?
Ça y est: ils se sont garés, Dame K.

Des fleurs et du soleil, Cornus. Mais ça vient, ça vient!

Sans doute, Karagar, n'y avait-il pas d'oliviers à Port-Royal...

Trois petites notes de musique.... Tu connais le film, avec Alida Vali et Georges Wilson?