vendredi 19 février 2010

Les Fraises sauvages

Il est difficile de parler d'un film d'Ingmar Bergman. Les uns, en lisant le nom de ce réalisateur, vont sans doute fuir tout de suite, les autres m'attendre au tournant car on ne touche pas impunément à un mythe.
Depuis Cris et Chuchotements en 1972 (je suis allé chercher l'année sur Google qui m'a cité d'abord un club de fétichistes et adeptes du SM!!!), je n'avais vu aucun film du suédois. La télévision, cette semaine, a passé Les Fraises sauvages(1957) que je ne connaissais que de réputation.

Dès le "prologue", j'ai su que je n'allais pas m'endormir devant l'écran. Un vieux médecin misanthrope, Isak Borg (Victor Sjöskom), doit aller à Stockholm pour y recevoir une distinction honorifique et s'y rend en voiture, accompagné de sa belle-fille Marianne (Ingrid Thulin). Auparavant, dans ce prologue, une voix off nous dit l'existence de cet homme froid et solitaire qui ne supporte qu'une présence auprès de lui: celle de sa gouvernante au caractère bien trempé. Monologue magnifiquement littéraire, découverte de cet homme, de son visage buriné, du décor de sa vie, en de longs plans noirs et blancs: des images qui, une fois vues, ne s'oublient pas de si tôt.

Le voyage sera l'occasion pour le vieillard de rencontrer trois jeunes auto stoppeurs sympathiques, un couple en complète perdition et de revoir des lieux et des personnes de son enfance ou du début de son âge adulte, en particulier sa mère, vieille dame égoïste et peu aimante et sa femme, morte depuis bien longtemps, qui le trompa dans les bras d'un autre, pourtant plus frustre. Isak Borg va peu à peu renouer les liens avec la famille qui lui reste, cette belle-fille qui l'accompagne et qu'il apprend à aimer en la découvrant, et le mari de celle-ci, son propre fils auquel il a prêté une assez,forte somme d'argent.

La merveille, dans ce film, c'est l'économie de dialogues dont il est peu besoin pour comprendre les sentiments des uns vis à vis des autres, et le jeu étourdissant avec le noir et blanc, jeu qui m'a littéralement subjugué, en particulier dans un des épisodes de rêves: le vieil homme se retrouve par hasard dans un quartier qu'il ne connaît pas, étrangement silencieux et délabré. Une horloge, en hauteur, n'indique aucune heure: elle n'a plus d'aiguilles. Quand il tente de la vérifier sur sa montre-oignon, celle-ci n'a plus d'aiguilles non plus. Enfin apparaît au bout de la rue une silhouette de dos. Lorsqu'il se rapproche et l'oblige à se retourner, il se rend compte que ce n'est qu'une image, rien moins qu'un homme vivant. A ce moment-là on entend le pas de deux chevaux qui apparaissent bientôt, traînant derrière eux un cercueil déposé sur une charrette. Une des roues de la charrette percute un lampadaire et roule jusqu'au vieillard aux pieds duquel elle vient se désagréger. Les chevaux arrivent à se dégager mais le cercueil, pendant leur fuite, tombe sur la chaussée et s'ouvre. Borg alors se penche et reconnaît le mort qui le prend par le bras et tente de l'attirer: c'est lui-même, dont la dépouille a été déposée dans ce cercueil. C'est une scène admirable. Il n'y a rien de trop, pas d'appel aux sentiments ou à la frayeur, pas de leçon tirée, rien que des images dont chacune est un chef-d'œuvre.

Curieusement, j'ai plusieurs fois pensé à une certaine littérature japonaise que j'aime tant, en particulier aux romans de Yoko Ogawa, dont l'atmosphère, parfois, est proche de celle du maître suédois.

5 commentaires:

KarregWenn a dit…

Ah il y a quand même quelques rares occasions de regretter de n'avoir pas de télé...Je mets Bergman très très haut dans mon panthéon perso des cinéastes. Le plus haut peut-être. Mais je n'ai pas vu ses derniers. En fac j'avais choisi une option cinéma (pratique pour voir des films gratos !) et j'avais eu ma meilleure note de devoir écrit grâce à "L'heure du loup". Je ne sais pas quel effet me feraient ses films aujourd'hui, mais je doute qu'ils aient perdus de leur puissance. Oui le noir et blanc, c'est une merveille. Et ses acteurs !
Ennuyeux, Bergman ? Jamais de la vie ! Envoûtant, dérangeant, exigeant et beau.

Calyste a dit…

Moi non plus, je ne le trouve pas ennuyeux, mais je reconnais qu'il vaut mieux ne pas être trop fatigué pour voir un de ses films!

christophe a dit…

Je reverrai bien ce film (au cinéma). Sonate d'automne aussi d'ailleurs (je les associe parce que je les ai vus à la même époque. Pour Cris et chuchotements... c'est tellement violent que je ne suis pas certain d'en avoir la force.

christophe a dit…

"reverrais"

Calyste a dit…

Moi, il faudrait tout simplement que je retourne au cinéma, dans une vraie salle: plusieurs années que je ne l'ai pas fait.