samedi 20 février 2010

Quelque part en Russie, au début du siècle

Russie. Deux mille et quelque chose. Début d'un siècle. Une ville dans la banlieue lointaine de Saint-Pétersbourg. Mon dernier voyage avec les enfants. Un concert prévu là dont j'ai oublié le nom. Une longue route rectiligne dans cette plaine laide. Est-ce ce jour- là que nous avons longé Tsarkoïe Selo sans nous y arrêter? J'étais sans doute le seul à savoir ce qui s'y était passé, le sang versé au début d'un autre siècle.

A l'entrée de la ville, escorte d'officiels qui accompagnent le car en voitures. Comme si nous étions importants. Comme si nous n'avions pas le droit de nous égarer. Par la fenêtre, je vois apparaître au loin les premiers bâtiments, béton gris sans rien autour. Seul ornement de la cité: le bloc massif, à l'entrée, d'un marteau et d'une faucille dans leur accouplement gigantesque, énorme rut enfantant la laideur.
Le palais de la culture est laid à l'extérieur, la salle de spectacle fonctionnelle, le repas servi socialiste. Il n'y a rien à voir, rien à acheter, ce qui ne me gêne pas, rien à admirer.

Et puis, dans la salle, elles apparaissent, s'installent au rang derrière le nôtre. Dans leur costume traditionnel, éclatant de couleurs dans la grisaille uniforme. L'envers de cette mort. Des rires, en éclats, des mimiques, des chamailleries de toutes jeunes filles. Elles veulent nous connaître, nous parler malgré nos langues si différentes. Plus tard, après le spectacle, on prendra des photos, devant le parking des cars. Comme elles sont belles, ces filles de l'est de ce qui s'appelait encore il y a peu de temps l'URSS! Elles viennent de l'Orient, en ont le regard plissé et la pommette haute, les cheveux noirs de jais tressés sur leur front blanc. Tatarstan ou, plus loin, Kirghistan, je ne sais plus.

On se sourit, on se serre pour entrer sur la photo, on pouffe encore à un mot de l'un, à une plaisanterie de l'autre, que personne ne comprendra, mais qu'importe. On sait que l'on ne se reverra jamais, que Kazan ou Bichkek sont bien loin de Lyon, que les cars vont repartir et qu'il ne restera bientôt que le souvenirs des sourires, de la pétillance des regards et de la joie de s'être croisés pour quelques heures, d'avoir vécu son humanité, la même, au milieu de presque rien.

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