lundi 8 février 2010

En terres burgondes

Lorsque j'ai connu Pierre, il habitait Montceau-les-Mines, non loin d'un petit lac à la sortie de la ville. Il louait le haut mansardé d'une villa occupée par une riche veuve dont le mari avait fait fortune dans le tissage, ce qui valait à Pierre le don régulier de grosses chaussettes de laine aux couleurs toujours sinistres. Il n'y avait qu'une seule pièce avec, sur l'un des deux côtés où le toit s'incurvait, un minuscule réduit qui servait de cuisine. Il me semble qu'il existait aussi un semblant de jardinet mais je n'en ai guère de souvenir: sans doute était-il réservé à la propriétaire des lieux. Le tout faisait penser à une chambre d'étudiant et c'est bien ainsi que madame X. traitait Pierre, bien qu'à l'époque il ait déjà dépassé la trentaine.

Si intellectuellement, la région lui "parlait" (Abbaye de Cluny, Autun, passé industriel prestigieux du Creusot), il se considérait cependant en exil, lui originaire de Haute-Savoie, dans ces terres aux dangereux verglas et aux brouillards tenaces. Il redescendait presque chaque fin de semaine à Lyon où l'attendaient ses amis de la Communauté qui m'accueillit par la suite.

Quelques images me restent de cette période et de cette région. Outre la naissance d'un attachement très fort dont j'ai déjà parlé, des fragments épars reliés entre eux par un sentiment heureux: celui d'avoir commencé là ma vie, en terre burgonde. Un petit lit d'abord, où nous avions du mal à bien dormir (mais en avions-nous vraiment envie?), le Journal d'un Séducteur de Kierkegaard, qu'il faudra bien un jour que je lise, des poèmes d'Aragon publiés chez Seghers je crois, un portrait de Pierre au crayon, œuvre de jeunesse de sa sœur qui peignit de longues années durant avant de s'en lasser, et de la musique: au piano lorsque la propriétaire déverrouillait la porte de communication avec la deuxième pièce de l'étage, où se trouvait l'instrument. C'est sur ce clavier qu'il me dédicaça un jour Rêveries de Schumann. ou bien sur un vieux tourne-disques aux hauts-parleurs rafistolés par ses soins. Nous écoutions souvent Ferré chantant ses textes ou ceux des poètes du XIX°. L'Étang chimérique est celui qui m'a le plus longtemps marqué.

Pierre me fit aussi non pas découvrir Bach mais m'enthousiasmer pour ce compositeur qu'il jouait à l'orgue parfois, lorsqu'un prêtre compréhensif acceptait de lui autorisait l'accès à la tribune de son église.

Il me reste aussi les merveilleux paysages de l'automne bourguignon, les couleurs d'or et rouille autour des ruines de Cluny, le concert des Saisons de Haydn à Saint-Lazare d'Autun, les bons restaurants dans la campagne grasse. Lors de notre journée en Bourgogne avec J., il y a de cela deux ans, j'ai retrouvé cette opulence agricole, la splendeur architecturale de ces vaisseaux romans. Je n'habiterais pas dans ces lieux mais j'aime y passer parfois car ils gardent, par la douceur des lignes de leurs paysages, une sorte de sérénité que l'on croirait liée aux siècles des bâtisseurs de cathédrales, quand la beauté était un idéal à atteindre. (En clin d'œil à Cornus.)

Nos plus beaux souvenirs fleurissent sur l'étang
Dans le lointain château d'une lointaine Espagne
Ils nous disent le temps perdu ô ma compagne
Et ce blanc nénuphar c'est ton cœur de vingt ans

Un jour nous nous embarquerons
Sur l'étang de nos souvenirs
Et referons pour le plaisir
Le voyage doux de la vie
Un jour nous nous embarquerons
Mon doux Pierrot ma grande amie
Pour ne plus jamais revenir.

Nos mauvais souvenirs se noieront dans l'étang
De ce lointain château d'une lointaine Espagne
Et nous ne garderons pour nous ô ma compagne
Que ce nénuphar et ton cœur de vingt ans

1 commentaire:

Cornus a dit…

Evidemment, ça m'a fait plaisir de lire ces lignes. Merci.
Je ne partage pas certaines choses sur le pays éduen, mais c'est bien normal.