Ce matin, au réveil, j'avais en tête, comme un air entendu et qui ne vous lâche plus de la journée, un drôle de mot, sans rapport, du moins je l'espérais, avec ma mauvaise nuit ou les événements de la veille, un mot qui, bien qu'accroché à moi comme un vampire assoiffé, n'a pas voulu disparaître avec la lumière du jour. Je l'ai alors classé dans un coin du cerveau, et en rentrant chez moi tout à l'heure, j'ai satisfait ma curiosité.
Ce mot bizarre, c'est rodomontade. Je l'ai eu en bouche tout le jour, le suçant, le polissant de la langue comme un de ces bonbons acidulés à la vague saveur citronnée dont on se demande si on les aime ou si on trouve cela écoeurant. C'est un mot que je vois rond, comme ce bonbon, légèrement oblong, sans beaucoup de goût mais lourd à déplacer entre les dents.
Rodomontade, cela m'évoque un gras chanoine regagnant son cloître en somnolant sur le dos de son âne efflanqué, une vieille motocyclette poussiéreuse abandonnée dans le coin du garage, mais que l'on ne peut se décider à jeter, que l'on caresse parfois au passage, parce que ce fut la première, un plat appétissant que l'on se faisait une fête de déguster mais dont les bords, trop tièdes, flottent déjà dans un peu de graisse figée. Cela commence comme un son incongru, formé avec la bouche arrondie, se poursuit avec deux syllabes qui copient la première, les lèvres toujours en cul de poule, et finit en éclatement, départ de mitraillette qui fait long feu.
Bien sûr, je connaissais le sens de ce mot, c'est sa sonorité qui me l'a fait conserver, et puis parce qu'il était ce matin sorti de son grenier et que je voulais le dépoussiérer, le refaire beau, avant, sans doute, de l'y replacer. Donc, dépoussiérons. Définition du Petit Larousse: fanfaronnade. On ne peut rêver plus court. Je cours justement à l'article fanfaronnade: action, parole de fanfaron. Superbe. Fanfaron est juste au-dessus. Voyons un peu: Qui vante exagérément ses qualités, ses réussites, réelles ou supposées, hâbleur, vantard.
Là, un petit pincement. Et si mon subconscient me reprochait une parenthèse de l'avant-dernier billet d'hier soir? Toute la nuit, il a dû m'envoyer des messages que je n'ai pas décryptés, ne rêvant pas depuis longtemps, ou plutôt ne gardant aucun souvenir de mes rêves. Alors, il s'est tapi là, tout près de la sortie, attendant que la porte s'entrouvre sur le réel, et m'a balancé sans crier gare ce gros caillou dans la tête: rodomontade. Non, pas vantardise ou façon de mec qui se la pète: je l'aurais oublié illico. Mon subconscient a du vocabulaire, il s'en sert. C'est donc rodomontade qu'il a choisi.
Plutôt que d'approfondir ce soir mon questionnement psy du matin, j'ai lâchement fui et me suis réfugié dans Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, de Alain Rey. Là, on trouve un peu plus de grain à moudre, en particulier sur le mot dont dérive rodomontade, le nom commun rodomont (fanfaron). A l'origine nom propre italien, Rodomonte, d'un roi d'Alger, fort brave et courageux mais aussi passablement fier et vaniteux, il apparaît entre autres dans le Roland Furieux, de l'Arioste. Ainsi donc, il se rapproche, dans son évolution, de son cousin espagnol Matamore (tueur de Maures), devenu lui aussi un nom commun désignant encore un fanfaron.
Rodomonte, prince d'Alger, et Matamore, tueur de Maures. La conclusion s'impose: la fanfaronnade est , semble-t-il, assez commune, en tout cas bien partagée, que ce soit d'un côté ou de l'autre de la Méditerranée. Gageons qu'en traversant l'Atlantique ou en tournant ses regards vers le soleil levant, on découvrirait encore bien d'autres sinistres clowns, vat-en-guerre décérébrés couverts du sang des autres. Dieu merci, nous n'avons pas ce genre d'articles en magasin chez nous, en France!
vendredi 4 avril 2008
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1 commentaire:
intéressante digression étymologique.
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