lundi 7 avril 2008
Les heures paisibles.
Je vais encore une fois dire tout le bien que je pense de l'écrivain japonais Yoko Ogawa. (Pardon, Mesdames, mais écrire "écrivaine japonaise" est au-dessus de mes forces, phoniquement parlant.)
Une parfaite Chambre de malade, publié chez Actes Sud (Babel) et suivi de La Désagrégation du papillon, est une nouvelle d'une beauté absolue. Quatre-vingt pages de beauté. Bien sûr, on va me dire qu'avec le moral qui est le mien en ce moment, je ne peux qu'être enthousiasmé par un titre pareil. Mais je ne peux tout de même pas me forcer à lire Le Sapeur Camembert! (Je suis peut-être injuste, je n'ai jamais ouvert ce livre.)
L'auteur y relate l'accompagnement par sa soeur des derniers mois d'un jeune homme malade et condamné par la médecine. On voit ce garçon peu à peu dépérir, devenir transparent à force d'être diaphane, on assiste aux efforts de sa soeur pour le nourrir, alors qu'elle même ne se plaît que dans l'univers aseptisé de cette parfaite chambre, où toute trace de nourriture est bannie, où tout élément comestible est vu comme une souillure écoeurante, à part quelques grappes de raisin que le malade finira aussi par ne plus pouvoir avaler.
Et, pendant cette douce agonie, la jeune femme regarde le médecin, elle voit à travers ses vêtements, sa silhouette, elle aussi parfaite, de nageur, elle imagine ses épaules, son torse, ses jambes constellées de gouttes d'eau, elle y trouve la force qui risque à tout moment de lui manquer et, les derniers jours, elle demandera à ce médecin de se serrer contre son torse dénudé, juste se serrer. Puis elle ne le reverra plus.
Ainsi Eros est toujours là auprès de Thanatos, comme je l'avais moi-même pressenti lorsque, sur le ponton de la plage où l'on avait étendu le corps de ma soeur noyée, j'avais aperçu, dans mon immense douleur, la beauté d'un homme qui regardait la scène. Rien, finalement, ne peut arracher de nous cette fringale de vie, ce besoin irrésistible de caresser la peau de l'autre et d'être caressé en retour. Animalité et fraternité. Rien ne peut détruire cela, enfin, je l'espère.
Lorsque pour une raison ou pour une autre je me sens triste, je me remémore les heures paisibles passées près de lui. Un vent doux de fin d'automne passe à travers la dentelle du rideau et vient caresser son lit. Assis, le dos soutenu par un oreiller de plumes, il m'offre son profil. Je le regarde, confortablement installée dans le fauteuil à côté du lit. L'après-midi est si tranquille que pour un peu on entendrait tomber les gouttes de la perfusion. Et la chambre est propre et bien rangée. Le sol et l'émail du cabinet de toilette ont été nettoyés, et les draps, amidonnés, sont impeccables. Nous avons toutes sortes de sujets de conversation. (...) La voix de mon frère m'enveloppe d'un voile délicat. Quand nous sommes fatigués de parler, nous prenons le silence à bras-le-corps pour le réchauffer de notre présence. Le contour du profil de mon frère est aussi mystérieusement transparent que la surface d'un mollusque. Rien ne vient troubler mon coeur. C'est un samedi irréprochable.(Trad. de Rose-Marie Makino-Fayolle.)
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1 commentaire:
Souffle de vie, souffle de mort, c'est difficile de s'extraire de vos mots et de l'émotion qui me submerge et ne laisser d'autre trace que celle de mon passage/lecture. Ici c'est votre "naos", pas le mien. J'aime beaucoup le symbolisme de la photo du message précédent. C'est vraiment une très belle association.
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