Il faut que je le dise d'emblée: ce billet va être très personnel et sans doute assommant pour beaucoup de gens. Ne le lisez pas. Je crois que j'ai besoin de l'écrire pour me parler à moi-même surtout.
En fait, mon moteur ne tourne pas très rond pour l'instant. Il a fallu que beaucoup de gens tirent la sonnette d'alarme autour de moi pour que je finisse par l'accepter. La première, c'est Kikou qui était très surprise par ma force de résilience et très inquiétée par ma suractivité. Pour elle, je faisais trop de choses, j'assumais tout, j'encaissais tout et ne pensais pas suffisamment à moi.
Bien sûr, lorsqu'elle m'a exposé son point de vue, je lui ai ri au nez, assez fier d'ailleurs que l'on me trouve trop actif.
Ensuite sont venues de la part d'amis des remarques sur mon amaigrissement un peu trop important selon eux. Là aussi, sourire de ma part: je fais du sport, il est donc normal que je retrouve la ligne. D'ailleurs, là aussi j'étais très fier d'être sans doute le seul homme à maigrir en arrêtant de fumer. Ensuite, le kiné, que j'ai consulté pour mes maux de dos: c'est quelqu'un que je connais depuis plus de trente ans. Au bout de quelques séances, il m'a prévenu que ces douleurs n'étaient pas d'origine mécanique, mais plutôt psychologique: j'entamais selon lui une dépression nerveuse. Là encore, j'ai souri finement: si j'étais dépressif, je le saurais tout de même.
Et puis l'idée a fait son chemin dans ma tête. Je me suis observé, j'ai arrêté de jouer à l'autruche. Et qu'est-ce que j'ai vu? Des enthousiasmes excessifs, qui retombaient bien vite, des sautes d'humeur qui ont valu à certains de mes collègues des engueulades très violentes, des moments d'extrêmes abattements, où les larmes sont sans cesse au bord des yeux, où je ne pouvais plus les retenir, l'exaspération croissance que j'éprouvais à chaque visite à ma mère, le fait que rien (à part la lecture et la course) ne me faisait réellement plaisir. Même si chacune des observations précédentes peut avoir une cause réelle et justifiée, il n'en demeure pas moins que souvent la réaction est disproportionnée et que ces réactions sont devenues de plus en plus fréquentes.
Alors, voilà: je crois bien que j'ai voulu sauter trop vite quelques étapes. La mort de Pierre il y a trois ans, celle de mon père il y a un an, le cancer de mon frère, la maladie de ma mère, la solitude, l'éclatement du monde intime qui fut le mien, le désintéressement de certains amis auxquels je tenais, la solitude grandissante, je me suis cru assez solide pour tout assumer. Jusqu'à ce que mon corps se rebiffe, dise stop. Il a tiré la sonnette d'alarme.
J'ai admis à mon retour d'Allemagne que je n'allais pas bien. J'ai craqué hier soir au téléphone et en ai parlé à ma soeur. Elle a bien vite compris et s'en doutait d'ailleurs un peu déjà. Alors, aujourd'hui, me sentant un peu mieux (tour du lac de Miribel en courant sans doute, ou lavage de toutes les vitres de l'appartement pour laisser entrer le soleil qui a l'air de se décider à arriver), j'ai décidé de parler à ma mère, et je l'ai fait.
Je lui ai dit mon mal-être actuel, que j'encaissais beaucoup de négatif depuis pas mal d'années, que la mort de Pierre, dont je ne lui parle jamais, m'a marqué, profondément, que ma vie s'est trouvée totalement bouleversée, que j'avais un métier extraordinaire, mais terriblement fatigant nerveusement, que je venais de perdre seize kilos en à peine un an, que je n'avais presque jamais faim, et que tout cela n'était pas un signe de splendide épanouissement, qu'il fallait que j'adopte un autre rythme. Je lui ai dit aussi que ma soeur, toute solide qu'elle soit, était elle aussi fatiguée nerveusement.
Elle a commencé comme d'habitude par vouloir me culpabiliser: "ton père voulait que nous ne nous disputions pas, moi aussi je maigris, vous voulez m'abandonner, vous avez comploté ça avec ta soeur". Mais je n'ai pas marché et l'ai renvoyé dans ses propres filets. Cette discussion n'était en rien une dispute, à quatre-vingt ans, il est sans doute normal de maigrir mais je n'ai pas quatre-vingt ans, nous n'avons jamais pensé l'abandonner, nous l'aimons mais elle est trop égoïste. Le fait de ne voir aucun de nous pendant une journée n'était tout de même pas un effort surhumain que je lui demandais, et il valait peut-être mieux se voir moins souvent mais avec plaisir, plutôt de d'être sans cesse en train de hausser le ton.
Elle a fini par comprendre que nous ne songions à aucun moment à l'abandonner et s'est mise à parler d'elle, en toute vérité, me disant que si elle n'aimait pas que nous voyagions, ne pas savoir où nous nous trouvions, c'est à la suite de la mort par accident de ma petite soeur, en 71. Je lui ai dit que je la comprenais mais que nous ne pouvions pas vivre sous une cloche de protection, qu'elle nous avait transmis beaucoup de son monde d'angoisses constantes, mais que les siennes, elles devait les garder pour elle.
Elle m'a également dit que voir approcher la fin n'était pas facile. Je veux bien l'admettre. Enfin, je lui ai proposé que nous en reparlions tous les trois avec ma soeur dimanche, et l'ai quittée après l'avoir prise et serrée très fort dans mes bras, comme je ne l'ai jamais fait de ma vie. Je suis sûr qu'elle ne va pas dormir de la nuit, mais il fallait que j'ai le courage de parler aujourd'hui.
J'ai ensuite téléphoné à ma soeur pour lui expliquer tout ça. S'en est suivie une longue conversation sur le même sujet et sur mon frère devant qui elle ne peut parler de son cancer par peur de s'effondrer. Je lui ai dit que moi j'en parlais de façon saine et que je lui transmettais tout ce qu'il me disait. Comme elle avait peur qu'il ne prenne ça pour de l'indifférence, je lui ai proposé d'aborder le sujet avec lui.
Ce que j'ai fait dans un deuxième coup de fil, avec mon frère cette fois-ci, que je devais joindre pour lui apprendre l'existence d'un site sur le cancer, Guérir.fr, dont je reparlerai sans doute, et lui dire le projet que j'avais mis en place sur la semaine pour les visites à ma mère. J'ai tenu à lui dire également ma difficulté actuelle. Lui aussi s'en était aperçu: sportif (vélo) lui-même, à aucun moment il n'a cru ce que je disais: que ma maigreur venait de mes entraînements à la course. Là aussi, il y a eu un échange prolongé et profond.
Les larmes sont en train de me monter aux yeux en écrivant cela parce que je crois que j'ai vraiment un frère et une soeur formidables, que j'ai voulu toujours avec eux me comporter en aîné un peu responsable d'eux, et qu'aujourd'hui il vont l'aider, leur grand frère, à passer un cap un peu difficile. Quand on sait la religion de la non-parole dans la famille, j'ai l'impression d'avoir tout fait sauter ce soir: enfin, nous osons. Enfin, j'ai osé dire que je suis faible en ce moment, j'ai osé dire que j'avais besoin d'eux pour m'en sortir, que je ne sais pourquoi cela m'arrive maintenant alors que j'ai vécu des moments autrement difficiles.
Je vais relire ce que je viens de taper à toute vitesse, sans réfléchir, sans essayer de faire des phrases, et corriger seulement les fautes de frappe et d'orthographe: on ne se refait pas. Quel impact cela va-t-il avoir sur la tenue de ce blog? Je n'en sais rien. J'y suis profondément attaché, j'aime y écrire et y lire les autres, mais en même temps, je voudrais casser certaines habitudes où, comme ma mère, je m'enferme trop facilement (En fait, j'ai découvert que si elle m'exaspère souvent en ce moment, c'est que je m'aperçois que je lui ressemble de plus en plus et que, de cela, je ne veux pas). Je me libère par l'écriture et en même temps je gratte parfois la plaie pour la rouvrir. Peut-être y aura-t-il moins de billets. Peut-être m'y mettrai-je moins en vitrine. Je ne sais pas. Je suis simplement apaisé d'être arrivé à la fin de celui-ci.
Et je vous fais profiter de mes pivoines et du soleil qui les baignait cet après-midi.
vendredi 25 avril 2008
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5 commentaires:
Tu as franchi là un grand pas en effet ! Ce n'est qu'en disant les choses clairement que l'on peut aider ou être aidé face aux embuches que la vie nous sème. Si le soutien de ta famille est indispensable, souviens toi aussi que tu peux compter sur NOUS...
Compter sur nous (j'ignore qui se cache derrière le nous de tef69...), malgré nos faibles moyens, juste une présence discrète quelque part à l'autre extrémité du câble que tu vois sortir de ton ordinateur.
Je suis heureux que tu aies su tirer à temps le signal d'alarme auprès des membres de ta famille. Cela vaut tout de même mieux que d'attendre de s'effondrer complètement ! Mes pensées t'accompagnent.
Merci pour les pivoines ; mes pensées les plus tendres vous accompagnent.
Emouvant témoignage.
Etrange aussi que les histoires familiales suivent des chemins parallèles...
Merci à tous les quatre.
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