dimanche 21 octobre 2007

Riens (14)

Un samanche tranquille:
Samedi, course à pieds: grand soleil mais grand vent froid. L'après-midi, je vais essayer mon nouvel appareil photos numérique (c'était celui de mon père) à la Feyssine.
Là aussi bise revigorante. Personne d'autres que quelques cyclistes essayant de tenir face aux rafales de vent, deux ou trois couples promeneurs de chiens et moi. Ça m'arrangeait: je n'avais pas envie de tomber sur les dragueurs habituels et de finir dans un fourré avec une main glacée fouillant mon entrejambe.
L'appareil, au bout de trois photos, refusa d'aller plus loin: batterie trop faible. Alors j'entrepris une promenade au bord du Rhône, le regard d'un côté sur les rapides du fleuve, le pont de l'autoroute et la cité de Caluire, béton blanc en plein soleil, de l'autre sur les quais de Saint-Clair et les premières pentes de la Croix-Rousse, ocre déjà dans l'ombre, me disant que, décidément Lyon est une ville que j'aime.
A cinq minutes du centre, je marche sur un chemin caillouteux, ombragé de platanes mordorés, avec le soleil d'automne qui joue sur l'eau croupissante d'une mare (le "diapason") et le grand vent qui fait plier les joncs des rives et couche les graminées de la prairie. Et tout ça pour moi (presque) tout seul.
Tout seul, je l'étais, il y a deux ans, à ce même endroit, l'automne suivant la mort de Pierre. Je m'étais assis un soir sur la berge, les pieds au bord de l'eau, contemplant déjà ce paysage de fin d'après-midi, partagé entre une prière de reconnaissance devant la beauté du monde et l'abandon à la douleur qui habitait tous mes instants.
Au premier plan, l'eau du Rhône était comme aujourd'hui agitée de fines vaguelettes par la brise, un îlot apparaissait encore, voué à l'inondation si l'on ouvrait les vannes, et au fond la Zup de Caluire resplendissait du même embrasement du soir. J'étais bien, dans ma douleur-bonheur, dans mon bonheur-douleur, bercé par le bruit lointain de la ville et le léger clapotis des eaux sur la berge. Je me souviens d'avoir contemplé longuement, juste à mes pieds, une touffe de joncs caressée par les derniers rayons du soleil et de les avoir aimées, ces herbes qui, comme moi, souffraient sous les assauts du vent et pourtant ne se brisaient pas.
Alors, hier, je suis retourné au même endroit: une crue (quand?) avait fortement raviné les bords du fleuve,couverts de boue, la touffe de joncs était encore là mais sans grâce aucune: une autre touffe, d'autres joncs?
Ou alors c'est moi qui ai changé: il y a deux ans, après ma longue rêverie, j'avais brusquement sursauté (sans doute la fraîcheur qui s'installait), me rendant compte qu'il était tard: il me fallait rentrer, sinon Pierre allait m'attendre pour dîner et s'inquiéter. Et puis, la réalité m'avait sauté à la figure: jamais plus Pierre ne m'attendrait. J'étais libre de mon temps, je pouvais rester aussi longtemps que je le voulais, passer la nuit dehors si je le voulais. Je n'avais de comptes à rendre à personne. Et cette liberté m'avait épouvanté, je n'en voulais pas, pas à ce prix.
Hier, j'ai repris ma promenade et suis rentré pour écrire. Les choses, peu à peu, trouvent leur place.

Dimanche (aujourd'hui), repas avec ma mère et ma soeur, comme presque tous les dimanches. Mais nous ne sommes pas sortis pour la traditionnelle promenade digestive. Il fallait faire disparaître les derniers cartons du déménagement, les derniers liens qui nous reliaient encore concrètement avec l'autre vie, celle d'avant, où mon père existait encore.
Ma mère a accusé le coup, et s'est enfoncée dans le silence, pelotonnée dans un fauteuil. Ma soeur, comme d'habitude, admirable: je souffre mais j'avance.
Moi? A la fois attentif et ailleurs, dans la réalité et dans le passé, n'hésitant pas à jeter à la poubelle des objets mais les inscrivant dans ma tête au rayon souvenirs de famille. De l'extérieur, je fais les choses simplement, sans apparence de sentiment, à l'intérieur, c'est une autre histoire.
Demain, dernier acte: la visite chez le notaire, pour clore la succession. Bien que non concerné ( celui que j'appelle ici mon père étant mon beau-père, le frère de mon père - pour ceux qui ne comprennent rien, rendez-vous une autre fois-, le père de mon (demi) frère et de ma (demie) soeur), mon frère et ma soeur (oui, d'accord, les demis) m'ont demandé d'être présent, car, comme moi, ils n'ont jamais vécu notre fraternité à "demi". J'en ai été touché.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Et quel intérieur ! Il est superbe :)
C'est un plaisir de le voir partagé ici.

Le Rhône a été en crue tout juillet et la moitié d'août. On ne pouvait plus se promener dans les lônes recouvertes par l'eau.