jeudi 4 octobre 2007
Début(s)
Potomac (le) : fleuve des Etats-Unis, qui passe à Washington et se jette dans la baie de Chesapeake; 460 km.
Définition du Petit larousse illustré de 1992, en couleurs. Définition sèche, technique et sans photo.
Pour moi, Potomac, c'est le premier mot, l'alpha de ce qui n'a pas encore connu son oméga..
Il faut s'imaginer le tout début des années 60, une petite école primaire de campagne, fréquentée par des enfants de mineurs et de paysans (la plupart du temps des deux à la fois: il faut bien nourrir sa famille), où l'instituteur certains soirs, à la fin des cours et si nous avions bien travaillé, nous faisait écouter de la musique classique (je me souviens encore de Granada) ou, mieux, nous lisait de longs passages de La Prairie, de James Fenimore Cooper. Et là, dans la salle chaude qui sentait la sueur, l'encre, le bois et la craie, où peu à peu entrait la lumière du couchant (pourquoi toujours m'imaginer que c'était en hiver?), dans cet endroit confiné, coincé entre des prés trop en pente pour éviter l'effort et des crassiers lourds et noirs, dans ce monde destiné à la vie simple et dure des ouvriers, où rien (ou presque) ne m'y prédisposait, j'ai découvert la beauté des mots.
Et le premier fut Potomac. Pourquoi ? Je n'en sais rien. Dès que je l'ai entendu, je me suis mis à rêver d'immensités d'herbes hautes violentées par le vent, de fleuves impétueux et écumants, ou vastes et léthargiques, de maisons au loin, isolées au sommet d'une colline où la lampe s'allumait, recréant la même intimité que je vivais à cet instant dans la salle de classe. Mes camarades étaient-ils eux aussi perdus dans cette immensité ? Y en avait-il un seul dont j'aurais pu saisir la main pour qu'il me guide dans cet univers inconnu mais dont j'apercevais tout à coup la richesse, de la graphie comme des sons. Un seul pour me dire, de la bouche ou du regard :"je te comprends, je suis avec toi, je suis ton frère des mots."? Je ne sais pas. Dans cet univers, seul, je m'y suis enfoncé, j'y ai nagé, j'y ai dormi, gémi, joui, souffert et souri. Le livre est resté mon compagnon de lit le plus fidèle, celui que l'on ne peut s'empêcher de caresser un peu juste avant de s'endormir, même si la journée fut rude. Et le mot est pour moi musique avant que sens, mélodie et non message ( ce qui agace souvent mes amis, obligés de répéter). Et le son ouvre à chaque fois la porte donnant sur ces grands espaces qui m'ont, en un instant et à tout jamais, enivré, lorsque j'ai entendu POTOMAC,un soir d'hiver, dans la bouche de mon maître d'école..
Aujourd'hui, presque cinquante ans après, le pouvoir d'évocation de ce mot est, pour moi, toujours le même. Je n'ai jamais vu le Potomac, et je ne le verrai jamais, car le vrai ne m'intéresse que peu, et le mien est trop profond en moi. Il me suffit de savoir qu'il est là et que je peux, à tout instant, le convoquer: il a toujours répondu. Aussi, lorsque j'ai décidé d'ouvrir ce blog, n'ai-je pas eu à chercher longtemps son titre. Potomac s'est imposé comme une évidence, comme le baptême à la source de tous les mots futurs. Car mots futurs il y aura, j'espère.
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3 commentaires:
Je me suis laissé porté par ce fleuve tout au long de ce texte.
Joli(s) début(s).
J.
Mais vrai j'ai trop pleuré! Les aubes sont navrantes,
Toute lune est atroce et tout soleil amer:
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate! Ô que j'aille à la mer!
Un deuxième commentaire à ce premier billet, plus de trois ans plus tard. Et de cette qualité. Merci, Baron!
E la nave va!
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