vendredi 16 novembre 2007

Abécédaire (Y, enfin)

Yvon (épilogue)
Et puis sont venus les trente ans de D., un des habitants de la communauté, qui s'y était installé à peu près au moment où Pierre et moi l'avons quittée pour prendre un appartement à nous. C'était en décembre, peu de temps avant Noël. D. nous avait invité , Pierre, Yvon et moi.
Yvon, je l'avais retrouvé depuis quelques jours seulement, suite à une xième brouille. Ou plutôt non: c'était plus grave que cela: nous étions trop proches, nous nous connaissions trop bien et ainsi, chaque fois que j'essayais de l'aider à sortir de son mal-être, de ses tentatives de suicide à répétition, il me voyait venir avec mes grands sabots et me riait au nez. Nous ne pouvions plus échanger que nos douleurs muettes. Il se réfugia chez une de ses collègues de travail, beaucoup plus âgée que nous, qui lui servit de mère un temps. Merci à elle pour les moments de bonheur qu'elle lui apporta à la fin de sa vie.
Le jour de l'anniversaire, elle me dit au téléphone: "Je vous le confie, prenez-en bien soin." Je croyais en une banale formule de tendresse alors qu'elle me prévenait à demi-mot (il était présent) de sa fragilité psychologique: il venait encore une fois d'essayer de se tuer. Je ne le compris pas. Yvon arriva chez moi, nous plaisantâmes, nous essayâmes des déguisements: il fallait absolument arriver costumés. Rien n'était à notre goût. Nous finîmes par opter pour un foulard autour du cou, estimant que la composition, le numéro que nous envisagions de leur faire au cours de la fête vaudrait les meilleurs masques.
En fin de soirée, je ne vis plus Yvon. M. me dit qu'il était rentré chez lui. Étonnant: il devait coucher chez moi. Mais je connaissais les bizarreries d'Yvon: il voulait sans doute écrire (l'absorption d'alcool nous aidait à l'époque) ou draguer un mec pour finir la nuit. Il avait laissé comme message qu'il me rejoindrait pour le déjeuner du lendemain, vers 13 h.
Le lendemain, 13h: personne. Normal: il dort encore. 14h: personne. Bon, d'accord, il n'a jamais été à l'heure de sa vie. 15h: je commence à m'inquiéter. Comment le joindre? Il n'a pas le téléphone.
Un peu plus tard, nous décidons, Pierre et moi, d'aller voir ce qui se passe. Sa porte de garage est fermée de l'intérieur: je m'en rends compte immédiatement. Il est donc à l'intérieur. Nous l'appelons: pas de réponse. Et puis je me souviens qu'il m'avait parlé d'un mec rencontré à Paris, je crois, et qui, éventuellement, pouvait le rejoindre pendant ces vacances de Noël: ils sont donc en train de baiser et n'ont rien à faire de nous.
Nous rentrons. Pour revenir un peu plus tard, vraiment inquiets. Nous forçons la porte du garage (par lapsus, j'avais tapé la porte du courage). Yvon est là, au bas de son escalier, pendu, mort. Je ne crie même pas. Fin de tout.
Je viens d'écrire tout cela très vite. Je ne me relirai pas. Tant pis pour le style. Il fallait que ça sorte, il fallait que je m'en débarrasse, que ce souvenir aussi soit classé, et que je passe définitivement à autre chose. C'est ce que je souhaite.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Difficile de mettre un commentaire après un tel texte, une telle histoire, néanmoins je tenais à dire que ce témoignage m'a vraiment ému. J'espère que de l'écrire te permettra de l'exorciser, enfin.