mardi 6 novembre 2007

Rien (26)

Hier, soirée avec S. Je l'ai trouvé très maigre, mais paradoxalement calme et détendu: il n'avait pas le débit de parole stressé, pas non plus de diarrhée verbale, ce qui fait que nous avons pu avoir une vraie conversation, c'est-à-dire autre chose que deux monologues juxtaposés. Je suis tout de même effaré de voir les dégâts qu'ont provoqué sur lui le tabac, l'alcool et la dogue. Je lui ai offert le restaurant: je n'ai pas l'impression qu'il y va souvent.
Dire que je le considère quelque part comme un fils (dont j'aurais complètement raté l'éducation) est peu dire: c'est un gosse que nous avons pratiquement élevé, Pierre et moi. Lorsqu'à seize ans, il a rencontré M. qui allait devenir sa femme et la mère de son fils (et dont il est séparé maintenant), c'est chez nous qu'il est venu abriter ses premières nuits (Nous étions tout de même un peu inconscients!). Lorsque plus rien n'allait, c'est encore chez nous qu'il se réfugiait. Comme il était beau pendant son séjour chez les pompiers de Paris: un athlète.
Et puis il y a eu l'accident de voiture (deux morts), les longs jours de coma pour lui, le corps à demi disloqué, l'esprit malade (encore aujourd'hui): il se sentait, comme conducteur, responsable de ces deux décès, alors que le seul responsable n'était ni l'alcool ni la vitesse, mais une simple plaque d'huile.
Il s'est enfoncé pour de longues années dans toute cette merde. Comment l'aider autrement qu'en étant là, sans juger, mais sans trop de complaisance non plus? La rencontre de C., une femme mariée, l'a beaucoup aidé, et j'ai l'impression que, peu à peu, ils sont en train de construire quelque chose de solide, enfin je l'espère.
Mais hier soir, vrai échange, entre deux adultes sur le même plan: plus de fils, plus d'oncle (comme il voulait que je le sois pour lui, ce que j'ai toujours refusé, n'étant pas sûr du tout ( c'est une litote) de ne pas le désirer physiquement). Mais toujours une immense tendresse en partage. Au moment de nous quitter, nous avions l'air de deux cons, trouvant, sans avoir besoin de nous le dire, qu'une bise sur la joue c'est bien banal et qu'un baiser sur les lèvres ce n'est pas ça non plus. Que peut-on inventer d'autre entre deux hommes?
Une notation de plus: au restaurant (excellente cuisine savoyarde des familles dans un petit resto familial où la serveuse à elle seule valait le détour) , la table voisine de la nôtre était occupée par un couple. L'homme que je voyais de dos semblait plus âgé que sa compagne, mais celle-ci m'a littéralement fasciné: très subtilement maquillée, habillée de noir, elle devait avoir à peu près mon âge, quinquagénaire avancée donc, à la silhouette légèrement empâtée et au visage marqué par quelques rides, à la poitrine lourde. Je ne sais pourquoi, le premier nom qui me vient à l'esprit est celui de l'actrice Suzan Sarandon. Plusieurs fois, je me suis surpris à ne plus écouter S., tellement mon attention et mes regards étaient attirés par cette femme. Je crois qu'elle s'en est vite rendu compte et qu'elle n'a pas été insensible à l'hommage muet que je lui rendais. Elle m'a même souri gentiment à un moment donné. A cinquante ans, on peut se permettre d'être naturel et d'accepter sans trop l'analyser ce que la vie vous offre de beau.
Dernière notation: cet après-midi, avec E., nous avons rendu visite à une vieille paysanne de plus de quatre-vingts ans. Son visage, regard et sourire, était frais et vivifiant comme un torrent de montagne. Comme j'aimerais vieillir ainsi!

1 commentaire:

JaHoVil a dit…

Une bise de ma part à E.
Bien que je ne le connaisse pas.
Qu'il se rassure, le net permet de belles rencontres et de vrais partages (aussi).
Un gros bisou pour toi :)