Yvon (Chapitre 1: Enfance.)
Quand nous sommes- nous vus pour la première fois? Aucune idée. Dans les premières années, peut-être les premiers mois de notre vie ( nous avions six mois d'écart, Yvon étant le plus jeune). Où? A coup sûr dans le petit village du F., au lieu-dit Le Château (les vieilles maisons d'ouvriers alignées devant une placette en arc de cercle auraient été construites avec les pierres du château du seigneur local). Nos grand-mères étaient amies, nos mères étaient amies, nous fûmes plus qu'amis: nous fûmes frères.
Un de mes plus anciens souvenirs le met en scène: nous sommes assis sur la placette (à l'époque, aucune voiture, donc personne pour surveiller les jeux des enfants), déjà tous les deux, déjà isolés des autres. Il me demande de ne pas parler trop fort car un vieillard est mort dans une de ces maisons: on ne parle pas fort quand on est près d'un mort. Sans doute ai-je culpabilisé à ce moment-là car je me souviens très bien de la scène, alors que nous devions avoir autour de quatre ou cinq ans.
Pour jouer, nous n'acceptions avec nous que deux personnes: une fille un peu plus âgée et grosse qui avait l'air d'exciter Y., et une adolescente qui, quand ses parents n'étaient pas là , nous emmenait chez elle pour nous préparer des goûters: elle aimait encore jouer à la maman et nous adorions nous faire dorloter. Un jour, alors que nous jouions à nous cacher, je me suis enfermé avec la grosse fille dans les cabinets extérieurs en bois, croyant avoir trouvé la cachette idéale.
Yvon, effectivement, ne nous repéra pas. C'est ma grand-mère qui nous dénicha, allant s'imaginer que nous nous livrions à je ne sais quelle turpitude. Je devais avoir six ou sept ans. Nouvelle culpabilisation, cette fois-ci plus grave car concernant le sexe.
Nous n'étions pas ensemble à l'école: j'étais toujours dans la classe supérieure à la sienne, du fait de mes six mois de plus. Aucun souvenir lié à l'enseignement donc . Nous nous retrouvions dans la cour de récréation, la plupart du temps à jouer avec les filles à la Clef de Saint Georges, à l'Epervier ou aux Anglais, beaucoup plus rarement aux billes avec les garçons. Nous en avions pourtant pris un sous notre protection, sans qu'il en ait, me semble-t-il aujourd'hui, réellement besoin, mais pour le plaisir de le toucher, en particulier le fin duvet qu'il avait sur la nuque, les joues et les bras. J'avais toujours envie de le serrer contre moi et de l'embrasser. Nous avions, Yvon et moi, environ huit ans ( ce garçon un de moins). Etait-ce déjà les prémices de notre orientation sexuelle future? Sans doute.
Le Sou des Ecoles organisait un voyage annuel, dans les petites classes une journée à Lyon pour voir la "Place des Pigeons" (des Terreaux) et le Parc de la Tête d'Or (déjà, oui!), dans les grandes deux ou trois jours pour une destination plus lointaine: Paris, les Châteaux de la Loire ou la Côte d'Azur. Chaque fois nous nous donnions rendez-vous sur la Place Marquise (il faut la voir, dans ce tout petit village, pour saisir tout le comique de cette appellation!), et chaque fois je devais aller tirer Yvon du fond de son lit, au risque de manquer le départ. De toute sa vie, il n'a jamais su être à l'heure.
Un dernier souvenir: à huit ans, je réintégrai ma famille qui, peu avant la mort de ma grand-mère qui m'avait élevé, était venue s'installer dans le même village, un peu plus loin dans la campagne. C'est à cette époque que j'ai fait vraiment la connaissance de mon frère et de ma soeur et que j'ai vu le ventre de ma mère s'arrondir d'une future naissance. Mais mon vrai frère à moi, c'était Yvon qui, lui, habitait toujours au Château. Quand, en hiver, nous sortions de l'école (ou peut-être du catéchisme), il nous fallait regagner nos maisons dans la presque obscurité. Jusqu'à la Place Marquise, il y avait bien un ou deux lampadaires avares d'une maigre lueur orange, mais ensuite, c'était la plongée dans le grand noir. Yvon me raccompagnait jusqu'à l'extrême limite de la lumière. Ensuite, je courais pour franchir le plus vite possible les quelques cinq cents mètres qui me séparait de la maison. Un jour, mon père(P2), pris d'un scrupule ( le temps était-il particulièrement couvert cette nuit-là?), a fait la moitié du chemin pour venir à ma rencontre. Ainsi aurais-je moins peur. Or c'est le contraire qui se produisit. Nous ne reconnûmes ni l'un ni l'autre la silhouette que nous vîmes surgir de l'ombre à l'improviste, et nous détalâmes en hurlant, lui jusqu'à chez lui, moi sur les genoux du vieil épicier encore ouvert sur la place. En reparlant de cette immense peur le lendemain avec Yvon, nous nous aperçûmes que nous avions vu la même chose: un homme inconnu au visage à moitié mangé par une immense barbe blanche. Mon père n'a jamais eu de barbe, encore moins blanche à cette époque. Peu de temps avant sa mort, il me rappelait cet épisode et en riait encore.
Quelques confettis d'une enfance commune qui scella notre amitié. Pourquoi lui? Pourquoi moi? Pourquoi pas!
vendredi 9 novembre 2007
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