Yvon ( chapitre 3: Adolescence )
Après une longue brouille due au dégoût que nous nous inspirions mutuellement à cause de nos rapports sexuels non assumés, nous nous retrouvâmes encore. Et cette fois-ci, nous en avions, des secrets à nous raconter!
Nous avions fait la même expérience chacun de notre côté: la première relation avec un adulte, lui avec un légionnaire marié à une voisine, moi avec un parisien trentenaire rencontré par hasard en vacances dans le Jura . Loin de nous traumatiser, cette expérience nous avait révélé à nous mêmes. Finie la honte de nos actes puisque d'autres nous ressemblaient, et des adultes en plus. Nous ne pensions qu'à renouveler le plus vite possible cette pratique et bien sûr, à le raconter illico à l'autre.
Du coup, nous devînmes extrêmement complices: c'est à celui qui aurait le plus de rencontres, à celui qui donnerait le plus de détails sur ses agissements, sur ses découvertes. De réprouvés, nous devenions collectionneurs, tout surpris que les autres n'aient pas accès à ce monde de plaisirs extrêmes. De larves, nous en vînmes à nous croire sans doute supérieurs à une grande partie de l'humanité, ou en tout cas appelés à de vastes devenirs. La vie ne serait que sexe, plaisirs et expériences enrichissantes.
Évidemment, cela ne se passa pas tout à fait ainsi. Il s'instaura d'abord entre nous une espèce de concurrence assez malsaine. Pour épater l'autre dans la narration qu'on en ferait, nous étions prêts à accepter n'importe quelle pratique: il fallait tout essayer, tout goûter, jouir absolument. (En cela, nous n'étions pas très différents d'une immense partie de la jeunesse de cette époque, 68 oblige.)
D'où parfois, quelques rencontres à oublier, vite, quelques expériences à ne pas renouveler. Je me souviens particulièrement du jour où j'osai demander de l'argent à l'homme avec qui je venais de coucher: pour m'acheter des livres, j'étais prêt à tomber dans la prostitution. Les quelques pièces de monnaie (seulement!) que l'individu jeta sur la table et la honte que j'éprouvais suite à ma requête m'en éloignèrent, Dieu merci, à tout jamais.
A ce jeu, à ces jeux, nous perdîmes cependant beaucoup de notre naïveté, de notre fraîcheur et, pour Yvon plus sans doute que pour moi, de notre confiance en l'humain.
J'avais fait une rencontre qui compta un peu plus que les autres. Yvon m'avoua au bout de quelques mois qu'il connaissait aussi cet homme et qu'il couchait avec. Tous les deux me l'avaient bien caché pendant tout ce temps. J'en souffris beaucoup, à cause du mensonge et aussi parce que Yvon semblait considérer cette situation comme totalement naturelle et me jugeait très "vieille France" d'en souffrir. Je rompis avec l'homme et nos rapports avec mon camarade prirent à nouveau une orientation franchement hostile.
Pourtant je suis sûr aujourd'hui qu'à travers toutes ces expériences que nous nous racontions sans aucune pudeur, à travers le désir (que j'éprouvais souvent moi aussi) de vouloir sans cesse baiser avec celui avec qui l'autre couchait, c'est notre désir de l'un pour l'autre que nous manifestions: nous nous touchions par personnes interposées, nous faisions l'amour à travers les mots, sans le savoir. Et ainsi le tabou qui s'était installé entre nous n'était pas violé.
dimanche 11 novembre 2007
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