samedi 10 novembre 2007

Abécédaire (Y, encore)

Yvon (Chapitre 2: Préadolescence)
Les années suivantes ont été beaucoup plus troubles. Fini le vert paradis des amours enfantines. Peu à peu, nous avons découvert ensemble notre corps, assez tôt, vers dix ou onze ans.
Alors nous avons joué avec ce nouvel archet. Le début du concerto était toujours très nerveux, très tendu: Yvon venait chez moi, nous montions rapidement sous un prétexte quelconque dans la petite chambre près du grenier, interdisant à tous de nous suivre, sous prétexte que nous allions travailler nos devoirs. Nous nous mentions à nous mêmes aussi: il fallait que nous nous jouions la comédie du dernier poème à lire (j'écrivais de poèmes à l'époque) ou d'un quelconque prétexte littéraire.
Au bout de quelques minutes pourtant, le poème était oublié, le pantalon baissé et nos activités n'avaient rien de littéraires. Le tempo s'accélérait en allegro vivace. Nous malaxions nos sexes, nous nous essayions à la pénétration (sans jamais y parvenir), mais je n'ai pas le souvenir que nous sucions. Pourquoi?
Après la jouissance, nous en arrivions à la musique minimaliste. Finis les faux prétextes, fini l'après-midi ensemble aussi. Dégoûtés l'un par l'autre, nous remontions nos pantalons, sans nous nettoyer, nous bafouillions sans nous regarder de vagues prétextes pour nous séparer et Yvon s'enfuyait. Ma mère était toujours surprise de le voir partir si vite mais pensait qu'avec mon mauvais caractère, je l'avais sans doute vexé.
La gêne durait quelques jours, deux semaines au plus, et puis le désir remontait, le corps reprenait ses droits et nous recommencions la même comédie, en nous imaginant que personne d'autre au monde ne s'adonnait à ce genre de pratiques, que nous étions des monstres (l'autre, le tentateur, surtout).
Quand nous ne pouvions nous rencontrer dans la chambre, nous profitions du retour de la messe le dimanche pour répandre notre sperme dans les champs bordant le chemin du retour. (Est-ce pour cette raison que j'ai toujours préféré faire l'amour à l'extérieur?)
Il nous fallut encore quelque temps pour découvrir d'autres semblables, d'autres "frères de turpitude", et beaucoup plus de temps bien sûr pour ne plus avoir honte de notre nature et pour l'accepter et la vivre pleinement.
Pourtant c'est sans doute pendant cette période trouble, qui se termina par une longue brouille, que nous avons scellé notre pacte: dans le monde qui nous entourait, nous étions les deux seuls à pouvoir nous comprendre. Que nous serait-il arrivé sans l'autre, l'alter ego si repoussant parce que si désirable dans sa ressemblance avec soi? Et lorsque, des années plus tard, Yvon se suiciderait, n'avais-je pas unilatéralement rompu ce pacte en rencontrant et en aimant Pierre?

Aucun commentaire: