Yvon (Chapitre 4: l'âge d'être grand)
A l'Ecole Normale d'Instituteurs (où je ne l'ai pas accompagné), Yvon fit la connaissance de garçons un peu "jetés", partisans d'expériences encore plus radicales.
A défaut de jouer avec les drogues (ce n'était pas encore la mode à l'époque), on jouait avec sa vie. Ainsi le suicide était vécu comme un jeu auquel il fallait absolument participer un jour ou l'autre. Yvon devint un maître à ce jeu-là. Il fit plusieurs tentatives avant de quitter St Etienne pour me rejoindre à Lyon.
Il me parlait avec fierté de ce flirt avec la mort. Je n'ai jamais compris ni partagé cette attirance. Encore aujourd'hui, même au milieu des ennuis, je préfère voir le positif, ou vouloir le positif, même à grands coups de pied à son propre derrière.
La vie nocturne lyonnaise nous offrait évidemment de très nombreuses occasions de satisfaire nos désirs glandulaires ou amoureux. Nous confondions d'ailleurs souvent les deux, prenant le premier beau cul qui passait et savait se mettre en valeur pour l'amour de notre vie.
Yvon me présentait fidèlement toutes ses conquêtes. J'enviais son aisance en boîte de nuit, moi qui me trouvais si gauche dans les soirées (J'ai su plus tard, après sa mort, qu'il avait la même sensation vis à vis de moi: je lui paraissais beaucoup plus "désirable" que lui).
Si le mec qu'il me présentait ne me plaisait pas, c'était, pour lui, que j'étais jaloux de sa conquête; si au contraire, il me semblait sympathique, c'était pire: j'allais le lui prendre, attention (ce qui arriva effectivement au moins une fois) !
A de rares occasions, nous poussâmes l'audace (défiant le tabou) jusqu'à baiser à trois, ou à quatre. Mais jamais, dans ces parties-là, nous ne nous touchions, jamais nous ne nous embrassions.
Bien sûr, nous écrivions tous les deux. Yvon, chez lui, préparait des petits pois au roux et nous passions la soirée à les manger ( pas grand chose d'autre: nous n'avions pas d'argent.) en nous lisant nos textes avec Barbara en musique de fond.
Nos brouilles étaient peu fréquentes, nous nous voulions blasés et revenus de tout.
A l'automne 72, peu avant mes vingt ans, je rencontrai Pierre ( un vendredi 13, dans la nuit précédant son anniversaire). Trois jours plus tard, je le rejoignais en Bourgogne où il travaillait. Je n'avais prévenu personne de mon départ.
Mon absence dura une semaine. Mes amies de fac m'imaginaient déjà mort. C'est vrai que j'avais beaucoup parlé, moi aussi, de suicide l'année universitaire précédente, après le décès accidentel de ma petite soeur. Yvon, lui, était moins inquiet, mais tout de même. Lorsque je réintégrai un soir la cité universitaire, il m'y attendait dans le couloir. Les premiers mots que je lui dis furent: "Je suis amoureux."et il me répondit, me connaissant bien: "Ça ne va pas durer!" Ça a duré 33 ans, jusqu'à la mort de Pierre.
D'abord, Yvon essaya de m'éloigner de lui: qu'est-ce que je lui trouvais? Ce n'était pas du tout mon style de mec habituel (ça, c'était vrai.), je n'allais pas me laisser ficeler, liberté, liberté chérie. Allez, viens, on va écumer la nuit.
Puis il se lia d'une réelle amitié réciproque avec Pierre. Bientôt il fut presque tous les soirs dans l'immense appartement que nous occupions, des amis de Pierre et moi, en communauté dans un quartier chic de Lyon (Pierre, lui, était encore pour un an encore en Bourgogne).
Mais ces changements n'avaient pas pour autant mis un terme à l'ambiguïté des rapports entre Yvon et moi. Je me souviens qu'à cette époque, il ne pouvait paradoxalement accepter que j'aie un sexe et que je m'en serve "réellement". Peut-être cela le protégeait-il d'une vision trop crue de mes rapports avec Pierre. Je vivais très mal cette situation.
Alors, un soir, dans ma chambre, alors qu'Yvon était à mon bureau en train d'écrire, sans rien lui dire, je me suis entièrement déshabillé, je me suis installé sur le canapé et je me suis mis à me masturber en l'incitant à me regarder. Je voulais lui faire comprendre que tout cela avait une réalité, une consistance, et que lorsque je me masturbais, c'était bien du sperme, chaud et blanc qui giclait à mes pieds.
Yvon comprit très bien le message: il me dit que ce que j'avais fait était très beau et très pur. C'est bien ainsi que je l'avais voulu.
Alors, nous connûmes pour quelques temps une période de calme relatif: je vivais heureux avec Pierre, et Yvon passait de rencontre en rencontre, tout fier de la liberté qu'il avait réussi à sauver, lui, et essayant sans "débander" le pouvoir de séduction dont il savait parfaitement jouer.
Tout à mon amour pour Pierre, je n'ai pas vu venir le dernier orage.
lundi 12 novembre 2007
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