La célébration aujourd'hui à Berlin du cinquantième anniversaire du traité de l'Élysée entre France et Allemagne a fait ressurgir en moi une foule de souvenirs concernant nos voisins d'outre-Rhin.
Je n'ai pas connu la deuxième guerre mondiale puisque je suis né plus de sept ans après la capitulation du III° Reich. Pourtant, mon enfance a été sans cesse accompagnée par ce que j'entendais en famille sur ce qu'ils avaient vécu pendant ces années de conflit. Mes parents n'étaient pas tendres avec ceux qu'ils appelaient les fridolins, les boches ou les frisés, et racontaient souvent les mois de privations et d'humiliation, en y mêlant parfois des anecdotes plus drolatiques, comme celle du saucisson de contrebande qui dépassait du corsage d'une femme où il était caché.
Pourtant, ce ne sont pas ces moments comiques qui m'ont marqué à cette époque mais plutôt l'horreur que semblaient cacher toutes ces évocations. Ainsi pendant des années, mes cauchemars furent habités par des silhouettes de méchants avec casques à pointe, bien que je n'en aie réellement jamais vu un seul, et parlant, aboyant plutôt, un langage guttural. Le premier mercredi de chaque mois, lorsque les usines procédaient à la vérification des sirènes, je tremblais à chaque fois de voir apparaître dans le ciel les avions ennemis porteurs de bombes. J'avais, pour les Allemands, sans en connaître aucun, une haine farouche parce que la simple mention de leur nom me terrorisait.
Quelques années plus tard, sans doute autour de mes dix ans, je découvris par hasard, en fouillant dans les affaires de mon père mort (le géniteur), pieusement conservées, un livre d'allemand destiné aux débutants et la beauté et l'intelligence de cette langue me fascinèrent immédiatement. Était-ce aussi parce que ce livre avait appartenu à celui qui m'avait mis au monde et que je ne connaîtrais jamais ? Sans doute. En tout cas, c'est de ce jour que date ma volonté, qui n'a pas fléchi depuis, d'apprendre l'allemand. Je compte d'ailleurs bien y consacrer une partie de ma retraite.
Alors que j'étais étudiant à Lyon, je fis la connaissance de deux amis allemands, rencontrés un soir de drague. L'un habitait Stuttgart et l'autre Karlsruhe. L'un était organiste et l'autre ténor. Ils m'invitèrent chez eux et j'entrepris le voyage peu de temps après. Quand j'annonçai la nouvelle à mes parents, mon père se tut, comme à l'accoutumée, parce que sa volonté de me laisser libre l'emportait sur ses réticences, et ma mère, en tordant le nez, me demanda ce que j'allais faire "là-bas".
Lorsque, en traversant en train le pont de Kehl, je vis apparaître la pancarte Deutschland, je ne pus empêcher mon corps d'avoir un frisson nerveux: je pénétrais "chez l'ennemi"! Frisson bien vite oublié en visitant les deux villes de mes amis et en découvrant leur sens de l'hospitalité et leur gentillesse.
Mon deuxième voyage, je le fis avec Émile, mon ami curé dont la ville française était jumelée avec une ville allemande. Nous partîmes en 2CV, en plein hiver, et je fus fasciné: il avait beaucoup neigé et le soleil brillait sur les sapins recouverts d'une lourde charge. Une vraie carte postale agrémentée du plaisir de savoir que je remontais la vallée du Neckar, que j'allais pouvoir visiter Heidelberg et mettre mes pas dans ceux des romantiques allemands que j'avais lus entre temps.
Par la suite, j'y fis de nombreux voyages, en Forêt Noire, dans la Hesse et le Baden-Württemberg, à Bamberg, en Bavière, à Nuremberg, à Bayreuth... Chaque fois, mon amour pour ce pays grandissait, aussi bien que celui pour sa musique, pour sa littérature, pour cette civilisation que je découvrais peu à peu et qui n'entrait pas en conflit avec mon amour plus "naturel" pour l'Italie.
Je ne me souviens pas avec précision de la construction du mur de Berlin en 61: j'étais encore trop jeune. Mais j'en comprenais la réalité quelques années plus tard lorsque je me rendis à Vienne et que je vis que Budapest était si près de la capitale autrichienne. Si près et inaccessible à l'époque. En revanche, le jour de la chute de ce mur, en 89, j'avais déjà 37 ans, et je pleurais de joie. Je crois bien que, si l'on me demandait ce qui, dans ma vie, m'a le plus marqué, je citerais sans hésitation ce jour-là.
Je reçois depuis longtemps le calendrier des nombreuses manifestations qu'organise à Lyon Le Goethe Institut, et c'est là que je m'inscrirai bientôt pour, enfin, prendre mes premiers cours. Moi qui me croyais nul en langues vivantes parce que, dans mes études, ayant à étudier le latin et le grec, je n'avais appris que l'anglais, langue que je ne peux me résoudre à aimer vraiment, mais qui avais été rassuré par la facilité avec laquelle, adulte, j'avais digéré l'italien en cours du soir, je pense qu'avec ce projet, je me réserve de grands plaisirs. Et lorsque je serai suffisamment au point, je sais déjà ce que je ferai. Il me reste encore là-bas deux vœux à accomplir: connaître Berlin et me lancer sur les pas de Bach.
mardi 22 janvier 2013
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8 commentaires:
J'ai un peu les mêmes souvenirs d'enfance que toi concernant l'Allemagne, sauf que je suis née seulement 3 ans après la fin de la guerre, et que mon père, malgré ses cinq ans de camp avait gardé sa profonde germanophilie. Il en parlait toujours avec beaucoup de mesure malgré ce qu'il avait supporté. Il faut dire qu'il était aussi germanophone, bien qu'il l'ait peu utilisé à la maison, et que sa bibliothèque contenait pas mal de littérature en allemand, notamment une anthologie de la poésie depuis le moyen-âge jusqu'au XXème siècle que j'ai soigneusement récupérée, et Faust ! Et pas mal d'autres. Et puis il y avait Bach !
Ma seule langue vivante apprise au collège est l'allemand, et là je dois dire que j'ai renâclé sérieusement, j'aurais tant aimé apprendre l'anglais "comme tout le monde" !
J'ai vécu et travaillé quelque mois à Fribourg (en pleine période RAF) et à Stuttgart mais je n'en ai pas bien profité, j'avais assez à faire à me battre contre mes salauds d'employeurs ! En plus j'avais trouvé le moyen de trouver un petit ami...français ! Alors pour les progrès en allemand, on repassera. Dommage.
Chez nous, mes parents sont toujours restés très neutres concernant les allemands, mes grands parents un peu moins. Mais j'ai, tout au fond de moi, enfoui profondément, un léger ressentiment qui peut ressortir à l'improviste, jamais vis à vis des allemands eux même, plutôt d'une Allemagne lointaine fantasmée par les récits de l'enfance de mes parents.
Je l'illustrerais par ce sanglot étouffé par Giscard lorsqu'il avait évoqué le bruit des bottes allemandes pénétrant dans Paris.
Berlin et ses musées... Mais surtout, il faut visiter Potsdam et le château de Frédéric II.
A l'occasion, il ne faut pas rater Leipzig et surtout Dresde, ville magnifique et dont la galerie de peinture est absolument magnifique et fascinante.
Quant aux allemands, les récits de guerre de mes grands-parents me les décrivaient plutôt comme des benêts plutôt que comme des méchants... !
Du wirst die Sprache und noch mehr, die Musik der Sprache total mögen!
Il faut prendre les cours en intensif: c'est ce qui donne le plus de résultat, le plus vite. Et si tu as (accès à) une télévision "high tech", met Arte en allemand.
Mais je te souhaite bien du plaisir avec les accents quand tu visiteras l'Allemagne!
Lorsque je dis que le seul pays où je voudrais vivre hors de France c'est l'Allemagne, on me prend pour un fou... et pourtant, c'est vrai. J'y ai travaillé, fait de belles rencontres, j'y ai aussi fait des folies de mon corps... ça crée du lien, comme on dit aujourd'hui !
Je ne connais pas l'Allemagne, sauf d'y avoir mis les pieds par accident autour du Rhin en Alsace...
Bien que plus jeune, mes parents ont connu la guerre (nés en 1935-36) et mon grand-père maternel, bien que pupille de la nation et assez âgé (né en 1905) et père de deux filles, y a participé et a été "prisonnier" en Bavière pendant 5 ans : des camps, mais aussi chez des paysans incultes et mal dégrossis (il était particulièrement mal tombé, car nombre de ses collègues étaient dans des fermes où ils étaient bien mieux traités et mangeaient mieux). Il a connu une période où ils devaient aller dans le froid, la neige, la glace, creuser des tranchées. Et malheur à celui qui était malade qui était privé de repas. Alors même malades, ils allaient bosser. Une forme d'enfer malgré tout. Mon grand-père ne parlait presque jamais de cela. Il a d'ailleurs eu des séquelles en revenant (ablation partielle d'un lobe d'un poumon).
Mon grand-père n'aimait certes pas les Allemands mais n'a jamais été revanchard (après la guerre, il aurait pu bénéficier d'un aide allemand pour remettre sa ferme "debout", il a refusé). Je suis même persuadé, qu'il aurait pu accepter plein de choses il est mort 6 ans avant la chute du mur de Berlin). Il était de nature grognon et têtu, mais il s'y serait fait.
Mon grand-père paternel (pas le géniteur de mon père, le vrai) un peu plus âgé, avait fait la guerre de 14 sur la fin. Rien à voir, mais il n'aimait pas particulièrement les Allemands non plus.
Ce qui me choque, moi (j'ai eu le cas de faire une note sur mon blog il y a longtemps), ce sont les personnes qui haïssent les Allemands alors qu'ils n'ont pas connu la guerre, que leurs parents ou proches n'en ont pas particulièrement souffert non plus. L'Allemand, génétiquement et intrinsèquement mauvais : certains en sont encore là, même si c'est parfois plus nuancé.
Où est passer l'idée du temps du premier mandat de Chirac où il aurait été question d'une double nationalité accordée à tous les Allemands et Français ? Moi, je dis que c'était une belle idée.
J'ai fait allemand en seconde langue vivante, mais j'ai tout perdu, hélas.
A tous: que des avis positifs sur ce pays! J'en suis heureux, même si je pourrais comprendre que certains aient encore quelques réticences.
Ceux qui ont des réticences ? tant pis pour eux...
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