vendredi 25 janvier 2013

Oderint dum metuant!

Lorsque je suis entré à l'université, je n'en menais pas large. C'était la première fois que je quittais vraiment ma famille (même si j'en avais fait le choix et que cela m'ouvre, croyais-je, bien des horizons),  je devais loger dans une petite chambre en cité universitaire alors que j'étais habitué à de grands espaces (même si pas toujours confortables) et surtout je venais dans la grande ville "ennemie". Comment allais-je me dépêtrer de toutes ces nouveautés?

Mes compagnons de fac (mes compagnes, devrais-je dire, car, en Lettres Classiques, on comptait un garçon pour une dizaine de filles, demoiselles, j'en fis vite la constatation, venues là en attendant le mariage le plus avantageux possible et fréquentant davantage le milieu vétérinaire ou médical) étaient, pour la plupart, issus du bon milieu bourgeois lyonnais qui ne brille pas, au début, par la qualité de son accueil. Je fréquentai donc, les premiers mois, des apatrides comme moi, venus des quatre coins de Rhône-Alpes et même d'un peu plus loin. Il me fallut plusieurs années pour m'introduire enfin dans le saint des saints.

La solution pour laquelle j'optai fut celle du masque. J'en avais déjà expérimenté les avantages au lycée, où j'étais un des rares fils d'ouvriers. Le masque de l'extrême froideur et du plus total détachement. Ce masque, accompagné de résultats scolaires excellents, firent que l'on me craignit mais que l'on me respecta, à l'instar de cet empereur romain qui avait fait de cette phrase son idéal de règne. J'étais seul mais j'avais choisi cette solitude et je n'aurais jamais accepté de m'en plaindre.

Je connus rapidement une grande déception: les professeurs qui m'enseignaient le français n'avaient pas la qualité de ceux du lycée que je venais de quitter. Beaucoup n'approfondissaient guère leur enseignement et ceux, rares, qui le travaillaient, ne nous proposaient l'étude que d'auteurs à la mode et qui, moi, ne m'intéressaient pas. Heureusement, en latin et en grec, j'eus affaire à des puits de science qui, loin de se prendre au sérieux, nous faisaient partager le plaisir de la connaissance.

Lorsque je quittai la cité universitaire pour intégrer une communauté de clercs (ou d'anciens clercs),  je découvris un univers autre que celui, exclusif, des livres, un monde s'ouvrit à moi (en plus de celui que m'offrait la tendreté de mes vingt ans. Mais qui, à vingt ans, n'a pas de succès?) et le masque disparut pour quelque temps.

Et puis vint le moment de chercher du travail. J'en trouvai dans ce centre scolaire où j'enseigne encore aujourd'hui. A l'époque, l'établissement accueillait en majorité des enfants de cette grande bourgeoisie lyonnaise que j'avais appris à connaître au moment de mes Humanités. Le masque abandonné n'était pas encore très loin, je le repris immédiatement, ce qui me valut très vite une réputation de "petit con prétentieux" (c'est une de mes collègues, devenue plus tard une amie, qui me le dit, quelques années après). Mais, là encore, je fus sauvé par le sérieux que je mettais dans mon métier.

Aujourd'hui que je vais quitter l'enseignement, je regarde toutes ces étapes avec un certain sourire et, malgré tout, une certaine tendresse. Il m'avait bien fallu passer par toutes ces étapes pour devenir, enfin, adulte. Beaucoup ont su aller au-delà de l'apparence et m'ont ainsi aidé à mettre définitivement le masque encombrant au rencart. Mais que j'ai dû souvent leur paraître ridicule! Ils m'ont en tout cas, appris à sourire et à ne plus avoir peur.

8 commentaires:

Didier M a dit…

Mais sait-on jamais vraiment ce que les autres voient de soi? On ne peut même pas le soupçonner.

Cornus a dit…

Très belle note.
Ce "masque" ne m'étonne pas. Mais comme le dit Didier M, nous ne connaissons pas nous-même la vraie apparence de ce masque comme nous percevons mal aussi ce qu'il y a dessous.
Ce qui est embêtant, ce sont ceux qui ne voient que le vernis du masque. Mais est-ce si grave de ne pas entrer en action avec ceux qui ne veulent pas chercher à comprendre, car il ne faut pas exagérer, tu n'avais sûrement pas le masque du diable ou d'une personne peu recommandable. Ceux qui jugent trop vite, trop superficiellement se trompent forcément, que l'on ait ou non un masque.

Ce que tu appelles le masque, j'ai connu ça au moins jusqu'au lycée. Je n'étais en revanche pas un très bon élève, mais j'étais quelqu'un d'assez inabordable, d'assez froid. Au collège, j'étais raillé, moqué, alors qu'au lycée, j'étais craint. Après le bac, les choses ne se sont pas détendues immédiatement (j'étais comme un moine cistercien en exil à 500 km de la maison les deux premières années). Les choses se sont faites progressivement. Et la chose la plus importante, j'ai senti qu'on me respectait et que l'on me faisait même des compliments réels (camarades étudiants et enseignants). Alors forcément, cela permet de se détendre petit à petit et d'oublier ce qui pourrait s'apparenter à un masque. Mais il n'y avait sans doute pas que le masque en ce qui me concerne, et ça a duré bien longtemps encore. Et je me demande encore si je ne suis pas encore un vrai gamin ?

karagar a dit…

"Mais qui, à vingt ans, n'a pas de succès?" Tu crois vraiment à ce que tu écris là ??

plumequivole a dit…

Oui, comme Karagar j'aurai tendance à tiquer sur cette phrase. J'ai au contraire l'impression que c'est un cap difficile et souvent bien solitaire. Il le fut pour moi en tout cas, terriblement.
Quant au masque, hem hem...avancer masqué est parfois la seule stratégie pour avancer, non? je me demande si je ne commence pas enfin à le soulever, mais oh la la, tu en fais surgir des questions avec ta note !

Pastelle a dit…

J'aime beaucoup cette note. Un bilan à la fois lucide et léger sur un bout de vie, une personnalité. Une réflexion qui en engendre plein d'autres...
Pas vraiment de masque pour moi. Mais tant et tant de facette différentes que ça revient au même, en fin de compte...

Calyste a dit…

Didier: cela ferait un beau sujet de billet. J'y songerai.

Cornus: je l'avais deviné en te lisant depuis déjà quelques années. Cela fait, pour moi, partie de l'intérêt que je te porte.

Karagar et La Plume: voir réponse au billet suivant.
*
Pastelle: merci d'être passé ici et d'y avoir laissé un commentaire. J'aime bien votre appréciation "lucide et léger" car c'est ce que j'ai essayé de faire.

Pastelle a dit…

C'eût été mieux avec un s à facettes, mais l'essentiel est que l'on se soit compris... ;)

Calyste a dit…

Pastelle: aucun souci. J'avais rectifié de moi-même.:-)