lundi 28 janvier 2013

Des amis muets

Seul, ce soir, à fumer ma cigarette dans le parc, je me demandais ce qui me manquerait le plus lorsque je quitterais le collège. La réponse était devant mon nez: ce sont les arbres. J'en connais beaucoup, les plus importants, ceux qui ont une histoire avec moi, ceux qui sont encore là et ceux qui ont disparu depuis mon arrivée.

D'abord l'énorme tilleul de la cour dite de la Croix (bien que, personnellement, je n'y aie jamais vu quoi que ce soit qui y ressemble!), un très vieil arbre sans doute, dont le tronc était impressionnant. Il y a quelques années, il a fallu le couper car il était devenu dangereux. J'ai regretté ce solitaire dont le feuillage d'automne tranchait si bellement avec la vigne vierge accrochée aux murs du couvent qui, elle aussi, a disparu.

Le ginkgo biloba également, derrière le bâtiment des sœurs, tout aussi vénérable de par son âge, dont je prenais soin de ne pas fouler du pied les fruits à l'odeur nauséabonde. Je me demande pourtant si ce n'est pas celui-ci qui va le plus me manquer parce qu'on ne s'attendait pas à le trouver là. Qui l'a planté ? Je ne le saurai jamais.

Les sapins aussi, deux ou trois, parce qu'ils me rappellent ma campagne natale et les forêts du Pilat et qu'ils fournissent, l'été, une ombre appréciable où garer sa voiture (pas comme ce deuxième tilleul qui, pendant un de mes voyages d'un mois en Russie avec la chorale, recouvrit mon pare-brise et ma carrosserie d'une couche si épaisse de "résine" que j'eus toutes les peines du monde à m'en défaire.

Le houx, qui a bien grandi depuis mon arrivée, et auquel, chaque hiver, je prélevais quelques branches pour décorer les tables de Noël.

Le lilas qui me permit pendant de nombreux printemps d'avoir de magnifiques bouquets odorants dans mon appartement, tout ceci, bien sûr, avec l'autorisation des religieuses.

L'arbre dont j'ignore le nom, planté pour commémorer le passage chez nous d'un directeur adjoint mort trop vite d'une leucémie foudroyante. Il avait l'habitude de m'appeler "peigne-à-boeufs", ce qui dénotait chez cet être bourru une grande tendresse rentrée. La dernière fois que je le vis, il m'enlaça en me disant que j'étais son fils adoptif. Bien peu de mes collègues d'aujourd'hui, trop jeunes, l'ont connu.

Le seringa, ou jasmin des poètes, qui embaumait.

Les marronniers de la cour  du même nom qui, en saison, fournissent tout ce qu'il faut pour les jeux des élèves.

Et puis les vieux cerisiers, bien alignés le long d'une allée, aux troncs tordus et rugueux, dont les sœurs ramassaient les quelques fruits restant après le passage des élèves (et des enseignants!). Près de l'un d'eux, il y a la statue d'une sainte montrant le chemin à une jeune élève. En face, autrefois, existait un banc de pierre un peu branlant où, après le déjeuner, nous allions nous asseoir pour nous détendre et profiter du calme et du paysage.

Oui, sans conteste, ce sont bien ces amis muets que je regretterai le plus

9 commentaires:

plumequivole a dit…

Et cela ne te tenterait pas de t'installer dans une maison entourée d'un jardin et de t'y faire...de nouveaux amis?

Upsilon a dit…

C'est beau un arbre, et c'est une belle métaphore de notre condition humaine, avec des racines qui nous nourrissent et ciel que nous tentons de caresser.
Oui ce sont des amis... Je me faisais la même réflexion hier ! J'ai la chance de vivre dans une résidence avec des arbres qui ont plus de 150 ans, des cèdres d'une hauteur prodigieuse.

Cornus a dit…

Tu es trop cruel Calyste de raconter cela. Je comprends que cela risque de te manquer. Nos amis les arbres...

Gilles a dit…

Un arbre qui s'abat fait beaucoup de bruit ; une forêt qui germe, on ne l'entend pas." Gandhi

Anonyme a dit…

Merci de m'avoir permis de revisiter le parc...
Que de souvenirs...
En attendant ton nouveau départ et peut être pouvoir y retourner...Mcm

Calyste a dit…

La Plume: je crois que je vais rester dans mon appartement et devenir un peu volage (rues, quais, parc de la Tête d'or et autres bien fournis en espèces feuillus ou épineuses)!

Upsilon: c'est toi qui me rappelles le cèdre, que j'avais oublié. Voir billet suivant.

Cornus: rassure toi, j'aime bien aussi les amis qui parlent!

Gilles: je connaissais cette phrase mais aurais été incapable de dire de qui elle était! Merci.

Mcm: que de souvenirs, en effet, que nous pourrons, j'espère, évoquer plus longuement dans pas trop longtemps. Bises.

karagar a dit…

Voila bien un inventaire qui me plait et c'est une belle qualité chez un homme, à mes yeux tout du moins, que de s'attacher aux arbres. Tu les dis muets alors que j'ai étudié avec mes étudiants aujourd'hui même un conte que j'ai co-écrit où les arbres parlent et se moquent des humains qui n'entendent dans leur babil sylvestre, que le... ah le mot me manque en français, le bruit disons, du vent dans les feuillages. Drôle de coïncidence.

Cornus a dit…

Je suis tout à fait rassuré. D'ailleurs moi non plus, je ne les considère pas comme muets, mais emplis de musiques.

Calyste a dit…

Karagar: tu vois que nous avons tout de même quelques points communs...

Cornus: disons que les arbres m'ont toujours parlé mais sans faire de bruit, à l'intérieur.