Ma tante s'est assise près de moi. Une vieille dame maintenant. Quatre-vingt neuf ans. A la voir ainsi, bien mise, cheveux blancs impeccablement coiffés, yeux un peu délavés, il me vient un instant une pulsion de jalousie pour ma mère, au bout de la table, si abîmée, ressassant de sa bouche édentée des souvenirs cent fois entendus, dans son fauteuil qu'elle ne quitte plus qu'au prix d'un effort immense. Elle a deux ans de moins. Elle en paraît cent.
Ma tante me prend le bras et me dit des bribes de mon enfance, de celle que je ne connais pas, avant la mort de mon père, lorsqu'elle promenait le bébé que j'étais dans un joli petit landau et qu'il lui a offert un moulin à café. "Je l'ai toujours, sur le meuble, dans ma cuisine".
Et puis ce matin où tout endormie, elle a entendu frappé à sa porte. J'avais sept ans. Ma grand-mère venait de tomber. Son premier malaise, quelques mois avant qu'elle ne meure, peu de temps avant qu'on ne me sépare d'elle. J'étais venu prévenir. Je n'en ai pas de souvenir. "C'est toi, mon grand (elle ne m'a jamais appelé autrement) qui avais fait le chemin pour qu'on lui porte secours."
Alors qu'elle allait partir, je l'ai serrée dans mes bras. Elle était toute chaude dans son manteau d'hiver. Dans la voiture, à l'arrière, un immense sourire et un petit signe de la main. Elle était si fragile, à ce moment-là.
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4 commentaires:
A te lire, elle a l'air toute mignonne cette petite dame.
Très émouvant. Ma grand-tante, côté paternel appelait mon père et moi-même "mon petiot" suivi de notre prénom. Quand on connaît nos gabarits, cela prête à sourire, mais c'est comme ça.
Et je découvre cette note au moment même où une de mes deux tantes passe de mauvais jours en ce moment.
Christophe: elle a tout de même un sacré caractère, mais, avec moi, c'est autre chose.
Cornus: à l'époque de mon enfance, j'étais considéré comme grand. Aujourd'hui, avec mes 1,83m, je passe pour à peine moyen.
Les injustices du vieillissement... j'y pense souvent et je fais des coparaisons mentales lorsqu'à la télévision on parle d'un tel ou d'une telle qui vient de décéder, et qui, quelques semaines avant sa mort, à un âge pourtant respectable, était très bien conservé(e). Il ne s'agit pas forcément de stars qui peuvent surveiller leur corps et leur forme toute leur vie. Ni même de simple hygiène de vie, je pense, bien qu'elle y contribue. Nos mécanismes biologiques internes sont programmés de façon désespérément différente. Et donc monstrueusement injuste.
Accepter, que faire d'autre... ?
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