Marley était mort, pour commencer. Là-dessus, pas l'ombre d'un doute. Le registre mortuaire était signé par le ministre, le clerc, l'entrepreneur des pompes funèbres et celui qui avait mené le deuil. Scrooge l'avait signé, et le nom de Scrooge était bon à la bourse, quel que fût le papier sur lequel il lui plut d'apposer sa signature.
Le vieux Marley était aussi mort qu'un clou de porte.
Attention! je ne veux pas dire que je sache par moi-même ce qu'il y a de particulièrement mort dans un clou de porte. J'aurais pu, quant à moi, me sentir porté plutôt à regarder un clou de cercueil comme le morceau de fer le plus mort qui soit dans le commerce; mais la sagesse de nos ancêtres éclate dans les similitudes, et mes mains profanes n'iront pas toucher à l'arche sainte; autrement le pays est perdu. Vous me permettrez donc de répéter avec énergie que Marley était aussi mort qu'un clou de porte.
Scrooge savait-il qu'il fût mort? Sans contredits. Comment aurait-il pu en être autrement? Scrooge et lui étaient associés depuis je ne sais combien d'années. Scrooge était son seul exécuteur testamentaire, le seul administrateur de son bien, son seul légataire universel, son unique ami, le seul qui eût suivi son convoi. Quoiqu'à dire vrai il ne fût pas si terriblement bouleversé par ce triste événement, qu'il ne se montrât un habile homme d'affaires le jour même des funérailles et qu'il ne l'eût solennisé par un marché des plus avantageux.
La mention des funérailles de Marley me ramène à mon point de départ. Marley était mort: ce point est hors de doute, et ceci doit être parfaitement compris; autrement l'histoire que je vais raconter ne pourrait rien avoir de merveilleux. Si nous n'étions bien convaincus que le père d'Hamlet est mort, avant que la pièce commence, il ne serait pas plus étrange de le voir rôder la nuit, par un vent d'est, sur les remparts de sa ville, que de voir tout autre monsieur d'un âge mûr se promener mal à propos au milieu des ténèbres, dans un lieu rafraîchi par la bise, comme serait, par exemple, le cimetière de Saint-Paul, simplement pour frapper d'étonnement l'esprit faible de son fils.
Charles Dickens, Le Conte de Noël.
mercredi 30 novembre 2011
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9 commentaires:
Eh bien tu vois, depuis le début de cette série, je lisais en titre "pages manquantes" et bien sûr je ne comprenais pas. Était-ce des pages arrachées à tes livres, des pages que tu aurais voulu y lire...
Alors forcément, ce soir je viens de comprendre.
Olivier: c'est drôle ce que tu dis là, car, chaque fois que je publie un de ces billets, je tape d'emblée "Pages manquantes" avant de me rendre compte de mon erreur. Les grands esprits...
J'ai eu peur, j'ai cru que tu nous annonçait la mort de Bob Marley.
(ceci est une blague, je précise parce que j'ai pas envie que certains me prennent pour une tout à fait demeurée...)
Pas mal le coup du clou de porte !
Laplume> Je connais à peine l'existence de Bob Marley, mais cela ne me fait pas marcher boiteux.
La Plume: mais il est mort depuis 20 ans, Bob Marley! Je sais que je suis un peu lent, mais quand même!
Non, non, tu n'es pas demeurée. le premier qui le prétend aura affaire à moi!
Cornus: je trouve Dickens plein d'humour quand il veut.
Calyste > Pas 20 ans, 30 ans ! Il est même mort le 11 mai 81, j'ai de bonnes raisons de m'en souvenir...
La Plume: oui, bien sûr! Mais où ai-je la tête en ce moment?
en tout cas, c'est bien tourné tout ça.
Karagar: le bouquin est assez surprenant.
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