Jusqu'à ce que la nuit finisse et que les oiseaux se mettent à pépier dans les arbres, Jean restera assis à sa table devant une feuille blanche et un livre ouvert dont il ne tourne pas les pages. Une petite lampe jette sa lumière tranquille sur les mains de cet homme qui veille, de longues mains étroites qui semblent dormir, pareilles à des travailleurs fatigués.
Pas un bruit dans toute la maison, mais du jardin monte le chuchotement du tilleul où rôdent les premières brises de l'automne. Tout à l'heure il a plu et les bonnes odeurs de la terre envahissent peu à peu la chambre comme une bouffée de souvenirs. Chaque fois que Jean est inquiet et qu'il respire ce parfum venu des profondeurs du sol, il se sent rassuré jusqu'au plus intérieur de son être. C'est peut-être pour cela qu'il sourit.
Il paraît encore tout jeune, malgré ses tempes qui blanchissent. Son visage sans rides garde encore l'air un peu étonné qu'on voit aux enfants, mais il a la bouche et les yeux d'un homme qui a souffert, quelque chose de blessé dans le regard et quelque chose de réprimé dans le dessin des lèvres, comme si trop de paroles n'avaient pas été dites qui auraient dû l'être. S'il demeure à l'abri, s'il restreint encore sa courte ambition et reste fidèle à son livre et à son jardin, il ira sans bruit vers une mort honorable. Qu'il se cache donc et laisse la vie passer près de lui comme un grand fleuve sonore.
(Julien Green, Le Malfaiteur.)
dimanche 13 novembre 2011
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5 commentaires:
Très étrange ce texte. À la fois paisible et angoissant.
J'ai calé autrefois sur Julien Green, il faudra peut-être que je réessaie ?
ça me plait
La Plume: j'ai détesté Green avant d'en faire l'objet d'un long travail en fac. Et il m'a conquis, peu à peu. Je l'ai même rencontré à Paris. Il correspondait exactement à l'image que je m'en faisais à travers ses textes. Et quel style pur et simple à la fois.
Karagar: je ne sais pas si cet auteur correspond vraiment à ton univers. Mais je peux me tromper.
Ah, j'aimerais bien savoir quelle idée tu te fais de mon "univers"
Karagar: sans doute trouverais-tu Julien Green un peu trop "catho" pour toi.
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