Elle lisait. Beaucoup même. Plusieurs romans par semaine. N'importe quoi, ce qui lui tombait sous la main. Je lui avais donné des sacs entiers de bouquins, pour elle et la bibliothèque dont elle s'occupait. Il fallait voir son sourire lorsqu'elle me voyait arriver avec le précieux chargement. Il était immédiatement décortiqué et commenté. Après le repas, elle s'isolait dans la petite cour, sa fine cigarette mentholée à la main et, à l'ombre du platane, se jetait dans le premier qu'elle avait minutieusement choisi. Elle n'aimait pas qu'on la dérange alors.
Depuis quelques semaines, plus de livre à la main, un repas qui traînait et qu'elle regardait avec dégoût, le sourire disparu, un air blafard, une démarche traînante, comme si elle avait tout à coup vieilli de vingt ans. Après le repas, plus de moment sacré sous l'arbre, elle remontait immédiatement dans sa chambre. J'essayais parfois de capter son regard. En vain.
Avant-hier, je l'ai vue dans la cour. Elle m'a souri, faiblement, lorsque j'ai passé le seuil et a accepté d'échanger quelques mots. Elle ne sort plus jusqu'au bibliobus, elle n'a plus le droit de s'absenter. "Dépression, m'a-t-elle dit. On ne sais pas d'où ça vient. Je l'ai refusée trop longtemps." Parfois, au cours de la conversation, elle avait de longs silences dont elle ne semblait émerger qu'avec des efforts surhumains. Elle me confia que c'était comme si elle avait soudain des trous blancs dans la tête. Elle s'en excusait avec sa mine de petite vieille fripée. Je lui ai tenu la porte pour qu'elle regagne le salon et l'ai regardée s'éloigner de sa démarche hasardeuse.
dimanche 27 novembre 2011
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6 commentaires:
J'ai connu une dame (une cousine en fait) ancienne instit, lectrice acharnée, une vraie dévoreuse. Et puis un jour, plus de livre. À quoi bon disait-elle. Ne m'en offrez plus. Et silence.
Ta vieille lectrice me la rappelle.
J'ai trouvé la fragilité, la vulnérabilité subite très bien rendue.
Un sentiment communicatif.
Oui, c'est triste. J'espère que toi, cela ne t'affecte pas trop.
La Plume: j'ai eu un moment une petite période de crise moi aussi. Plus le goût de lire. Et puis, heureusement, c'est revenu, avec le premier bon roman que j'ai lu. Mais il y en a pas mal qui tombent des mains, non?
Le Forban: pas trop communicatif, j'espère.
Cornus: ça me touche parce que j'aime bien cette femme mais je ne dirais pas que ça m'affecte.
"Une dépression refusée trop longtemps". C'est tellement juste. Ne pas s'autoriser à flancher, à tomber ...
Anna: oui, dis-je, comme en écho...
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