Le dernier billet de Didier M. m'a fait me remémorer une histoire que Pierre se plaisait à raconter. Haut-savoyard de naissance, il avait connu un vieux paysan un peu simple, vieux garçon et têtu comme une mule. On l'appelait Pide. Ce n'était pas son vrai nom mais, dans les coins perdus des Alpes, on aime affubler les gens d'un surnom qui leur reste collé à la peau jusqu'à leur dernier jour. Ce Pide, enfant, avait eu une maîtresse d'école qui essaya tant bien que mal de lui apprendre à lire. Las, rien ne semblait rentrer dans cette tête obtuse.
Un jour, l'institutrice consciencieuse voulut le faire avancer un peu dans le chemin du savoir et lui enseigner coûte que coûte les voyelles. De sa belle écriture légèrement penchée, elle traça au tableau noir le plus bel "i" qu'onc on ne vit dans les écoles de la République.
- Allez, Pide, tu vas me dire ce que c'est que cette lettre.
L'enfant se tortilla sur sa chaise, essaya de faire diversion en écoutant dehors le chant des merles au soleil, se rentra un doigt dans une narine encombrée mais rien n'y fit. L'autorité ne lâcha pas. Alors il fallut bien se résoudre à obtempérer. Pide, de sa voix la plus claire, lança le plus bel "u" que jamais écho ne fit résonner dans les vallées profondes. Et tout content de lui, il allait retourner à ses occupations habituelles, une rêverie aussi profonde que stérile, lorsque la dame, légèrement courroucée, le reprit en main.
- Mais voyons, Pide, ce n'est pas un "u". Réfléchis un peu. Qu'est-ce que cela peut bien être? Je vais t'aider: il y en a un dans ton nom.
Mais il en fallait plus pour faire revenir la tête de lard de sa première impression. Il regarda l'institutrice droit dans les yeux et, bravache, lui affirma de toute la force de sa conviction:
- Mé dè qu'y est 'u"! (Moi, je dis que c'est "u"!)
L'affaire n'alla pas plus loin et Pide ne sut jamais ni lire ni écrire. Allez prouver à un enfant qu'il se trompe! Je suppose, quant à moi, que, comme tout bon paysan savoyard, il n'eut jamais aucun problème pour apprendre à compter...
lundi 2 avril 2012
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4 commentaires:
Cela dit quand on lui demandait son surnom, il disait "Pide" ou il disait "Pude" ? ....
Le paysan savoyard est d'un mutisme....
Des teugnats comme ça, on m'en a rapporté des exemples morvandiaux
"Des teugnats"! C'est joli! Dans la Loire, on dit des bôbias! Et en Haute-Savoie, des cacagnolets.
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