mercredi 18 avril 2012

Et si je me trompe...

Maria n'ira pas voter dimanche. Elle me l'a dit. Non pas qu'elle manque de conviction politique, non pas qu'elle ne veuille accomplir son devoir de citoyenne, mais parce qu'elle ne peut pas. Elle ne sait pas lire. Elle a peur de se tromper au moment de choisir son bulletin, elle a la hantise surtout du regard des autres qui s'en apercevraient. Je n'avais jamais pensé à ça, à la difficulté pour des gens comme elle à accomplir un geste aussi simple que celui qui consiste à glisser un nom dans une enveloppe. Elle l'a fait autrefois, lorsque son mari était encore en vie. Et depuis, sur ce point au moins, elle vit en infirme. Elle a développé, en personne intelligente, des tas de stratégies pour remédier à ce handicap, mais là, la circonstance lui apparaît trop solennelle.

Je lui ai montré la grosse enveloppe brune reçue l'autre jour et sorti les bulletins qui s'y trouvent avec la photo et le petit laïus de chacun des candidats. Je lui ai proposé de lui donner celui pour qui elle veut voter, quel qu'il soit, même si cela ne correspond pas à mon choix. Ainsi, pas d'erreur possible dans l'isoloir: elle n'aurait qu'à glisser celui qu'elle aurait dans la poche. Elle n'a pas voulu. Non pas qu'elle n'ait pas confiance: nous nous connaissons depuis suffisamment longtemps pour qu'elle sache que je ferai exactement ce qu'elle me demanderait et que le secret en serait gardé. Je crois tout simplement qu'elle doute de ses capacités intellectuelles à elle à choisir dans les dix qui postulent la présidence. Encore une fois, elle a peur de mal faire. Tout le monde n'a pas cette délicatesse. Et je ne sais pas si c'est heureux ou malheureux.

11 commentaires:

laplumequivole a dit…

Il y a les personnes comme Maria, les aveugles, sauf cas, rare de vote électronique, les sourds qui ont accès aux bulletins mais pas aux spots de campagne que je n'ai jamais vu traduits en LSF, ça fait du monde tout ça, laissé pour compte sans état d'âme par la république, avec tout juste le droit de payer leurs impôts et de fermer leur gueule !
Et puis il y a les cons comme celui qui commentait il y a quelques jours avec une belle assurance un article sur le sujet : "Les handicapés n'ont pas le droit de vote, de toute façon." J'ai cru m'étouffer en lisant ça. Heureusement il s'est pris quelques jolis râteaux. Mais les aura-t-il lu ?

Olivier Autissier a dit…

Je n'y avais jamais vraiment pensé. C'est sûr ça fait du monde. Merci de le rappeler.

Jean-Pierre a dit…

Handicapés, aveugles, analphabètes.. mais néanmoins citoyens à part entière. Tu poses là une vraie question, c'est même incroyable qu'elle ne soit pas plus évoquée !

Calyste a dit…

A tous: moi non plus, je n'y avais jamais pensé, avant d'être directement confronté à la chose.

Cornus a dit…

Je n'ignorais pas la chose, ma mère ayant travaillé dans une "maison de retraite". A ce propos, les passages du maire, parofis administrateur des lieux est parfois limite scandaleuse. Cela fait à mon avis nombre de voix facilement acquises pour des vieux qui ne sont pas toujours en mesure de réfléchir.

Nous, l'enveloppe c'était hier, et en plastique bleu.

Calyste a dit…

Cornus: voilà bien pourquoi je ne force pas la main à ma mère pour voter.

Cornus a dit…

Oui, et même avec des vieux en bonne santé physique et mentale. Je me rappelle ma grand-tante qui disait : "il a bien parlé, Monsieur le Maire" ou "la femme du Maire, qu'est-ce qu'elle est gentille". Tout cela, dans la plus grande hypocrisie : n'importe quel maire aurait pu se présenter en venant carresser les vieux dans le sens du poil aurait remporté leur suffrage.

laplumequivole a dit…

Euh...Cornus tu n'y vas pas un peu fort avec "les vieux" ? Je ne voudrais pas tomber dans le travers de "j'ai bien connu autour de moi", mais allez j'y tombe quand même : dans ma famille élargie, je me souviens fort bien d'une époque, où les vieux, pour certains des vrais vieux de pas très loin de 100 ans, auraient pu donner des leçons d'intelligence politique et d'indépendance intellectuelle à une flopée de plus ou moins jeunes dans la quarantaine qui votaient essentiellement sur la tronche et le costume du candidat ou sur des ragots de presse.
Ma passion pour le militantisme et mon sens critique, je les dois essentiellement à des gens qui avaient un bon demi-siècle de plus que moi ! Ça n'était pas des cerveaux, juste des gens ordinaires.
Et puis faut être logique. Si on est pour le suffrage universel il faut faire avec tous les citoyens quelque soit leur aptitude au choix. Sinon, on peut toujours revenir au suffrage censitaire, reste plus qu'à trouver les critères...

Calyste a dit…

Cornus et La Plume: d'accord pour les vieux conscients de ce qu'ils font. Pour les autres, ceux qui votent "à leur place" n'ont plus qu'à s'arranger avec leur conscience, et je ne parle pas de la conscience politique.

Georges a dit…

Je ne m'étais jamais posée cette question. Ce qui est grave, finalement.

Calyste a dit…

Georges: c'est exactement la réflexion que je me suis faite pour moi-même.