Au sud du Québec, près de la frontière des Etats-Unis, pas très loin de la côte est, j'ai connu un couple de personnes âgées, d'origine italienne, il me semble, dont je garde, malgré les années passées, un souvenir précis et ému.
J'ai logé chez eux une nuit seulement, dans une maison qu'ils avaient construite eux-mêmes, entre la route secondaire bordée de fermes et de granges rappelant les tableaux d'Edward Hopper et la rivière, large et calme sous les frondaisons, où, le soir venu, les truites sautaient hors de l'eau pour attraper les mouches.
Je me souviens bien de ce soir-là. On m'avait préparé un apéritif maison à base d'alcool mexicain et de café, entre autres, apéritif dont il valait mieux ne pas abuser, et dont finalement nous avons un peu abusé, sûrs de ne pas avoir à ressortir pour la soirée. C'était délicieux et, devant mon enthousiasme, ils se sont mis à préparer une deuxième tournée.
C'était une soirée d'été, quand le jour n'en finit pas de mourir, quand la nuit ne se décide pas à s'installer. Heure où, d'habitude, je fuis de chez moi pour échapper inconsciemment à une peur ancestrale. Ce soir-là, pas de peur. L'apéritif mexicain y était sans doute pour quelque chose. J'ai cru un instant que je me trouvais chez mes grands-parents, que nous formions une famille pour un soir, heureux de nous retrouver et fêtant dignement l'événement.
D'ailleurs, était-ce réellement autre chose? Cet homme m'avait emmené dans son atelier, une remise jouxtant la maison, expliqué comment il l'avait construite, cette maison, s'excusant pour le désordre régnant selon lui dans la pièce où, pourtant, pas un outil, pas une planche, pas un fil de fer ne dépassait des étagères qu'il avait lui-même fixées. Cette femme, tendre et plus effacée, mais en réalité le rocher de ce couple, avait rajouté le récit des voyages en bénévole de son mari pour le compte d'une association aidant au développement d'une région africaine dont j'ai oublié où elle se trouvait. Elle me disait cela sous le prétexte de rouspéter un peu contre ces absences trop fréquentes mais en réalité très fière de son vieux bonhomme de mari.
Il y avait une terrasse de bois, du côté de la rivière, où nous nous étions installés pour la soirée. A un moment, le vieil homme me fit comprendre par gestes que je ne devais plus bouger. IL m'avait prévenu auparavant que cela pouvait arriver. Il avait en effet installé une mangeoire pour oiseaux un peu plus loin, au bout de la coursive. Et il venait d'y arriver un colibri. C'était le premier que je voyais. D'abord mon mouvement pour me retourner, bien que mesuré, le fit fuir, mais, quelques secondes plus tard, rassuré par notre immobilisme, il revint devant la mangeoire.
C'est un spectacle fabuleux: un oiseau si petit d'abord que l'on dirait un gros insecte, plus coloré que ces semblables, avec une longue trompe lui permettant de prélever sa pitance. La nervosité qui s'en dégage, ensuite, et l'on sent bien qu'il doit de subsister seulement à sa rapidité. Mais surtout l'impression d'immobilité qu'il donne, comme s'il tenait en l'air par un effet d'apesanteur ou de lévitation. L'oeil humain, en tout cas le mien, ne peut pas décomposer ses battements d'ailes tant ils sont rapides. Il est resté ainsi quelques instants puis, sans doute rassasié, il s'est éloigné aussi vite qu'il était venu.
Et pendant tout ce temps, en contrebas, les truites poursuivaient leurs prouesses aériennes tandis que la nuit effaçait peu à peu les contours des deux rives. Bientôt l'on entendit plus que l'eau éclaboussée puis plus rien. Alors, nous commençâmes notre repas.
jeudi 12 juin 2008
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1 commentaire:
Comme tu en as de beaux souvenirs, chaleureux et tendres :)
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