mardi 17 juin 2008

Autrement.

Voir les choses autrement. Les choses réelles, les objets. Par exemple sous un autre angle, à un autre moment, avec un "objectif" différent. Déjà le lexique de la photo apparaît.

Quand je fais la sieste, sur le canapé qui ne sert qu'à cela, dans le salon, je ne vois pas cette pièce de la même façon: je suis plus bas que le fauteuil qui lui fait face et j'ai donc aussi une vision opposée. Le salon est relié à la pièce attenante par une arche qui me permet un plus grand angle.

Ce sont bien les mêmes meubles, les mêmes murs, le même papier peint, les mêmes bibelots, le même encombrement. Pourtant je ne le reconnais pas immédiatement. Il faut que je fasse un effort, que je repasse la liste dans ma tête.

Ainsi le grand miroir mural qui occupe la paroi opposée n'est pas tout à fait droit et, vu d'ici, le verre est piqueté de rouille en quelques endroits. Ainsi la table de la salle à manger a des pieds si baroques! Et le cannage des chaises, de profil, semble encore davantage prêt à s'effondrer. Le tapis révèle lui aussi ses traces d'usure. Tout semble plus vieux, à l'horizontale.

Mais la lumière joue avec les pieds des chaises: on dirait une forêt de bambous, dont certains resteront nains et d'autres s'étireront selon les heures jusqu'au bas de la sellette.

Mais la lumière joue avec le bouquet de pivoines, ou d'arums, ou de lys, ou de roses. La lumière elle aussi est vivante et provoque d'un souffle la chute d'un pétale ou l'écroulement d'une corolle entière.

Mais le bahut s'impose, barrière opaque et reposante, rassurante: je ne bougerai pas, je protège ton sommeil. Regarde mes veines, mes loupes et endors-toi. Bientôt, si tu y penses, tu me cireras.

Tiens, il faudra que je jette les papiers de bonbons à la menthe qui jonchent la table basse. Et cette vieille revue que j'avais posée là pour la lire et que je n'ai pas encore feuilletée. Et le hors-série de Télérama sur Barbara ou Béjart: je m'étais dit que j'y reviendrais plus attentivement, plus lentement, pour mieux le savourer.

Là haut, dans un angle du plafond, quelque chose bouge, quelque chose vit. Une araignée qui tisse sa toile. Elle se plaît ici, je ne la délogerai pas. Elle est chez moi, elle est chez elle.

Je touche l'ourlet du plaid polaire, sa douceur, son cramoisi me délassent déjà, comme un enfant retrouvant l'ours ou la poupée de ses nuits.

Je regarde le livre que je tiens, cet étrange objet dont mes mains connaissent toutes les formes, tous les grains, tous les poids, tous les reliefs. Ce quadrilatère que je partage en deux et dans lequel je plonge, le remontant bien sur mes yeux pour ne pas être aveuglé par la lumière de face.

Je lis, je regarde et je ne vois plus, je dors, entendant à peine le bois de la bibliothèque craquer doucement, comme pour dire, lui aussi: ne t'en fais pas.

En se réveillant, remonter en frissonnant un peu le plaid qui a glissé, profiter du moment d'entre-deux, s'étirer, rouvrir les yeux sur les mêmes choses et les découvrir choses, comme avant, sans plus de mystère. Se lever et, avant de quitter la pièce, se retourner furtivement pour tenter de capter, une brève seconde, le frémissement de la vie secrète des lieux. Et se demander qui l'on est, si l'on est, pour eux.

Pour Océania.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci Calyste,
la pivoine est une de mes fleurs préférées.
Votre texte, votre intention me touchent infiniment.